(ce qui précède est ici)

Sentir que nous existons constitue une vérité existentielle, même si nous sommes dans l’illusion.

La sensibilité est la condition de la pensée (et d’une certaine vérité que nous allons spécifier) comme le fait remarquer Michel Alexandre (1888-1952) en mettant un point d’ancrage à celle-ci : « L’esthétique consiste à partir de la condition humaine : certes, sentir est l’inverse de penser, mais la pensée n’est possible que dans le sensible. Il faut penser du point où l’on est » (« Lecture de kant », p. 9-10, P.U.F.). Cela peut se comprendre dans l’analyse du cogito effectuée par le philosophe contemporain, Michel Henry qui récuse la conception intellectualiste que l’on en donne généralement. Dans son livre « La Barbarie » (Livre de poche, n°4085) il montre que le cogito serait l’atteinte d’un savoir plus fondamental, plus originaire, que le savoir scientifique qui a été récusé par le doute, c’est-à-dire le savoir de la vie ou le « se-sentir-soi-même et son éprouver-soi-même-en-chaque-point-de-son-être » (p. 22). Un malade, atteint de la maladie de Korsakof, oublie, dans l’instant même, ce qu’il vient de faire ou de dire et ne fixe rien de ce qui lui arrive ou est arrivé dans le monde depuis l’année 1945. A la question du neurologue, Sachs (in « L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau » Points Seuil) qui lui demande, « Vous sentez-vous tout de même vivant? « , il répond : « Vivant ? Pas vraiment. Il y a bien longtemps que je ne me suis pas senti vivant » : pour lui la chose qui est son existence est dénuée de toute vérité. Ce « se sentir et s’éprouver soi-même » est la définition même de la subjectivité qui se définit par le fait de s’éprouver et de se sentir immédiatement et intérieurement soi-même comme dans une frayeur, une angoisse, un plaisir sensible, un sentir quelconque. Ainsi, l’élément fondamental de notre ancrage au monde et de notre subjectivité se manifeste dans ce rapport sensible et immédiat avec le monde. Inversement ce malade est aliéné parce que, ne se sentant plus lui-même, il se trouve chassé hors de l’existence même, par perte de la sensibilité à et de son soi : n’ayant plus ce sentir de lui-même, il n’y a plus aucune chose de fondamentalement vraie; son existence est devenue absurde.(sur le sentir voir ici)
Il y a un donc un sentir originaire qui est plus fondamental que la conscience qui se pose en s’opposant à des objets : « sentimus nos videre« , écrit Descartes ; ce qui signifie que nous nous sentons voir et cette certitude de nous sentir voir, persiste même si nous savons que ce que nous voyons est faux et illusoire. En suivant le premier sens du mot sens, nous avons découvert un objet vrai qui n’est autre que celui de notre existence et qui n’est pas atteint par les erreurs ou illusions intellectuelles dans lesquelles nous pourrions être plongés.
Bien entendu, le domaine de l’art comme domaine du sensible aurait pu constituer un excellent prolongement de ce que nous venons de montrer : la chose vraie pour Cézanne qui veut nous donner « la vérité en peinture », ce n’est pas la représentation objective de la montagne Sainte-Victoire mais ce sentir originaire qui se dévoile dans la phénoménalité même de cet espace. (voir ici notre développement sur Francis Ponge qui veut prendre le parti des choses pour en donner leur vérité. Et sur Cézanne qui nous montre la vérité d’un monde naissant, voir ici ).

Le sens comme direction-but et comme signification.

Nous ne développerons pas les deux autres sens du mot sens mais indiquons seulement que si nous envisagions le mot sens comme direction, il serait possible de réfléchir sur l’histoire ou le politique comme volonté de donner une orientation à la vie collective : la pensée hégélienne ou de Marx pourraient aisément être développées ici : la cause pour laquelle les hommes agissent dans l’histoire peut-elle être qualifiée de vraie? C’est alors ce but et cette fin qui, en quelque sorte, polarisent l’être des hommes, lui donnent une direction. Nous sommes alors dans une téléologie (de telos qui veut dire but, fin). Rappelons que la matérialisme historique se pose comme science vraie de l’histoire et chez Hegel ce qui sous-tend l’action des hommes qui souvent l’ignorent, c’est la manifestation progressive de la Raison, de l’Absolu. Inversement, la perte d’une telle polarisation des hommes dans l’histoire, aboutit bien à une perte du sens que Nietzsche nomme nihilisme. Il s’agit ici de néant de valeur quand l’homme ne trouve plus de fin vers laquelle tendre ou dans l’impossibilité à poser la question pourquoi. Dans le « livre » de Nietzsche que l’on a nommé La volonté de puissance », il écrit : « Que signifie le nihilisme ? Que les suprêmes valeurs se dévalorisent ; le but fait défaut, la réponse fait défaut à la question pourquoi ? » » (p. 33, Livre de poche, n° 4608).

Ce que nous avons écrit ne constitue en rien une dissertation ou un modèle. Nous n’avons voulu qu’analyser avec attention l’intitulé proposé pour ouvrir des pistes possibles. Et nous pensons le contraire de ce qu’un site écrit sans réfléchir à propos de ce sujet : « un sujet plat, sans consistance, ni profondeur, qui demeure assez décevant. ». C’est un sujet, comme nous l’avons vu, tellement profond que nous estimons qu’il était extrêmement difficile pour un candidat de le traiter véritablement (sic). Rares seront les candidats qui parviendront à affronter réellement l’intitulé.