Ce sujet ne devrait pas apparaître difficile à problématiser pour celui qui a compris qu’il est nécessaire de distinguer vérité et réalité (voir ce que nous disions ici). Si une chose est ou n’est pas, comment pourrions-nous la qualifier de vraie ? Le tableau que je vois devant moi est, mais ce qui est contraire à la vérité, c’est de l’attribuer à Van Gogh alors qu’il est l’œuvre (la chose) d’un faussaire. Dire d’une chose qu’elle est vraie, c’est associer deux affirmations appartenant à des domaines radicalement différents, à savoir ce qui relève de l’ontique (ce qui pose l’être d’un être, ici, la chose) et ce qui relève de ce que l’on pourrait nommer, l’épistémique (ce qui est de l’ordre de la connaissance, ici, la vérité). Et comme l’intitulé nous pose une question sur la signification possible de cette expression, il est facile, dans un premier temps, de dire que nous sommes, semble-t-il, en présence d’une absurdité : la feuille sur laquelle j’écris, chose parmi d’autres choses dans cette pièce, est là, présente à mes yeux et à ma main, mais il est absurde (dénué de sens) de dire qu’elle est vraie : si la vérité est de l’ordre d’un jugement que je porte sur le réel et que la chose se définit comme étant un élément réel, il est absurde de se demander si ce réel est vrai ; ce qui est vrai, c’est uniquement le jugement que je porte à propos de la chose et non la chose elle-même. Et c’est en énonçant cette impasse, cette apparente absurdité de l’intitulé que nous devons penser, philosopher, chercher un sens à ce qui, dans un premier temps, n’en a pas. Et l’on pourrait d’autant plus s’étonner d’une telle question que l’intitulé nous interdit d’en rester à cette impasse ! En effet, par sa formulation, il nous oblige ou nous contraint à envisager et à répondre positivement à la question ! On doit trouver du sens là où la simple lecture de l’intitulé semble l’exclure ! Cependant, rien n’interdit, lorsqu’on aura tenté de donner un sens à cette expression de « chose vraie », de conclure qu’elle n’en a pas, même si « on le dit » car on peut « dire » des choses insensées (d’ailleurs les correcteurs ne manquent pas de le noter sur les copies ! Et, inversement, il est préférable de réfléchir à deux fois avant d’accuser les professeurs de poser des questions absurdes !). Il n’y a pas de réponse attendue en philosophie ; les correcteurs attendent seulement que le candidat fasse l’effort de penser, de réfléchir, de problématiser, de poser un problème. Et énoncer, dans un premier temps, l’absurdité de l’intitulé est la meilleure façon de montrer que l’on veut et que l’on va penser.

La chose comme réalité et comme cause, comme représentation.

Pour tenter de sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes placés, il est alors nécessaire de donner une analyse plus fine de l’intitulé. Et le chemin qui semble le plus facile à parcourir est celui qui consiste à faire des variations sur les sens possibles du concept de « chose » qui, corrélativement, ferait apparaître des sens différents de l’expression « chose vraie ». L’erreur à éviter consisterait à faire un catalogue et une énumération de tous les sens possibles. Une première réflexion pourrait nous donner deux champs possibles du concept de chose : la chose serait tout ce que nous trouvons dans le monde que nous percevons, tous les objets qui nous entourent et que nous qualifions de réels. Mais la chose, c’est aussi tout ce que nous pensons comme dans l’expression « la chose dont il est question ». Si nous accordons parfois à un objet la qualité d’être vrai, quand nous disons par exemple que nous sommes en présence d’un vrai champignon, il ne peut s’agir que d’un usage faible et peut-être illégitime du concept de vérité. En revanche, il sera plus aisé de donner un sens à l’expression « chose vraie » si nous considérons que le mot chose, venant du latin causa, a la même origine que cause. On peut alors penser à la cause-chose dans le domaine juridique : que l’on songe aussi bien aux avocats ou aux personnes qui se battent pour leur cause qui peut être à la fois une vraie cause et une cause vraie. Ainsi, le concept même de chose n’est pas figé au seul domaine ontologique, celui de l’être, mais s’ouvre sur l’ensemble des représentations que nous pouvons avoir à propos des différentes réalités.

Dès lors, il était possible de chercher les sens différents que l’on peut accorder à ces choses-causes et on se retrouvait dans une problématique plus familière dans laquelle on pouvait faire varier (mais attention à la simple accumulation d’éléments) les causes scientifiques, historiques, artistiques, métaphysiques etc. dont le statut de la vérité n’est pas semblable. Donnons simplement la piste la plus fondamentale pour nous, philosophes, à savoir, la piste métaphysique : comme on le voit chez Platon, Descartes, l’Idée de Bien, Dieu, présentent un tel caractère absolu que ces auteurs font de ce réel la vérité. La cause essentielle pour eux est de contempler ou de démontrer l’existence des ces Etres qui sont la vérité : chez ces philosophes la vérité est identique à la réalité la plus haute. Mais chez Kant la visée de la chose en soi ne présente pas le même sens puisqu’il n’est plus question de connaître l’objet-vrai mais seulement de le penser.

Et c’est ici qu’il serait utile de tenir compte de la totalité de l’intitulé. Jusqu’à présent nous sommes restés polarisés sur l’expression « chose vraie » mais le sujet n’est pas « Une chose peut-elle être vraie ? ». Quel est donc ce « on » qui pourrait qualifier une chose de vraie ? S’agit-il d’un sujet universel ou faut-il spécifier la nature du sujet particulier qui affirme cette proposition ? Est-ce l’homme du commun, le scientifique, l’artiste, le croyant, le philosophe ? Et est-ce que le « dire » est de même nature selon les sujets et les domaines considérés ?

Les sens du sens.

Mais il pouvait être intéressant d’analyser le concept de sens qui semble aller de soi : tout le monde comprend que la question porte sur la signification d’une proposition que l’on énonce, mais ce que l’on demande au philosophe et au candidat, c’est de considérer que rien ne va de soi. Et pourtant, en quel sens doit-on prendre le mot sens ? Cet intitulé semble nous plonger dans une régression à l’infini car dire le vrai c’est déjà émettre une proposition sur une autre proposition (la vérité est un jugement, donc une proposition que je porte sur) et, dans cet intitulé, quand la chose n’est autre qu’une représentation (la cause que je poursuis), nous devons réfléchir sur une proposition (je dis) qui porte sur une proposition (la vérité) d’une proposition (ce à quoi j’attribue une vérité) !
Et on doit demander en quel sens faut-il prendre le « en quel sens » de l’intitulé ! Car le mot sens a au moins trois grandes directions de sens : il peut renvoyer au sentir, à ce qui est de l’ordre du sensible de la sensibilité ; il peut renvoyer à la direction comme dans l’expression sens interdit ; il peut enfin renvoyer à la signification. On retrouve tout cela dans cette phrase de Claudel « Le temps est le sens de la vie (sens : comme on dit le sens d’un cours d’eau, le sens d’une phrase, le sens d’une étoffe, le sens de l’odorat » Art poétique. Et cette analyse des trois directions de sens du mot sens auraient pu servir de structure du devoir pour éviter une simple accumulation d’éléments.

(à suivre ici)