(ce qui précède est ici)

 Quelle est l’essence traditionnelle de la guerre?

Si la guerre n’est pas un état de chaos dénué de règles, de normes et de droit, il doit en exister une essence qu’il nous faut tenter d’énoncer, pour voir ensuite si cette essence s’applique à la situation actuelle de novembre 2015 en France.

On distingue traditionnellement plusieurs conditions de possibilité de ce que l’on nomme guerre :

– Il faut tout d’abord qu’il existe au moins deux États en présence. Et parmi les conditions de possibilité d’un État (voir ici société et État), il faut qu’il y ait un territoire défini, un ensemble d’institutions gouvernementale, juridique, politique, économique, culturelle, militaire qui exerce son pouvoir de régulation. La relation du guerre engage des États et non pas des individus. Comme le fait remarquer Rousseau (lire le chapitre 4 du livre 1 du Contrat social) après d’autres auteurs, il ne peut y avoir « de guerre générale d’homme à homme ». De plus, la guerre nécessite « un état permanent qui suppose des relations constantes », qui ne peuvent pas exister entre individus mais seulement entre États. D’où la définition de la guerre à laquelle aboutit Jean-Jacques Rousseau : « j’appelle donc guerre de puissance à puissance [comprenons d’État à État] l’effet d’une disposition mutuelle, constante et manifestée de détruire l’État ennemi, ou de l’affaiblir au moins par tous les moyens qu’on le peut« .

– Il faut qu’entre les États il y ait un différend qui ne peut pas être résolu par la diplomatie, le droit, mais qui passe par la volonté de recourir à la force ou la violence qui va jusqu’à la mort et la destruction de l’ennemi. Cependant, là encore, l’exercice de la violence doit suivre des règles liées notamment au fait que le différend oppose des États et non des hommes particuliers. Montesquieu dénonce l’idée selon laquelle le conquérant aurait, par exemple, le droit de détruire les hommes d’une société alors qu’elle ne permet de détruire que la société (il vaudrait mieux dire l’État). Or « la société est l’union des hommes, et non pas les hommes ; le citoyen peut périr, et l’homme rester« . Et « il est clair que, lorsque la conquête est faite, le conquérant n’a plus le droit de tuer, puisqu’il n’est plus dans le cas de la défense naturelle et de sa propre conservation » (« L’esprit des lois » livre 10, chap. 3 ». Rousseau le dit clairement dans le « Contrat social » en distinguant l’homme, le citoyen membre d’un État, le soldat qui peut tuer ou être tué par d’autres soldats : « La guerre n’est donc point une relation d’homme à homme, mais une relation d’État à État, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu’accidentellement, non point comme hommes ni même comme citoyens, mais comme soldats; non point comme membres de la patrie, mais comme ses défenseurs. Enfin chaque État ne peut avoir pour ennemis que d’autres États et non pas des hommes, attendu qu’entre choses de diverses natures on ne peut fixer aucun vrai rapport. »

Paul Klee : Mort et feu.

– Une guerre d’un État à un autre État doit se faire selon des modalités définies dont celle d’une déclaration de guerre. On désigne un autre État comme étant son ennemi à qui on impose la guerre. Cette déclaration peut être unilatérale mais il ne peut y avoir de guerre si celui à qui on déclare la guerre ne riposte pas à l’agression et ne se défend pas. Et si une partie de la population est tuée lors de celle-ci, une telle action ne peut être qualifiée de guerre mais constitue un meurtre, un crime. Rousseau qualifie ceux qui agissent ainsi de brigands : « L’étranger, soit roi, soit particulier, soit peuple, qui vole, tue ou détient les sujets sans déclarer la guerre au prince, n’est pas un ennemi, c’est un brigand. » (ibid.)

– elle a une fin définie qui s’obtient, quant au différend qui était la cause de la guerre, par la contrainte subie par l’État vaincu d’accepter les exigences de l’État vainqueur. Et on appellera paix l’état dans lequel les deux États renoncent à leur volonté d’utiliser la violence pour régler leurs conflits.

(à suivre ici)