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(Ce qui précède est ici)

[Corrélats avec le programme : le vivant, théorie et expérience, raison, vérité, désir, société]

Comment naît la question ? Qu’est-ce qui la provoque ?

On pourrait penser que le point de départ de la recherche du scientifique dans les sciences expérimentales provient de la simple observation empirique de ce qu’il peut voir dans le domaine qui l’intéresse. Ce serait passer à côté du travail effectif du savant qui n’est pas un observateur mais un expérimentateur. Cuvier  écrit en ce sens que « l’observateur écoute la nature ; l’expérimentateur l’interroge et la force à se dévoiler ». C’est l’idée, l’hypothèse qui provoque la mise en place d’une expérimentation et comme le dit Claude Bernard, énonciateur de la méthode expérimentale en médecin e et en biologie, « il faut nécessairement expérimenter avec une idée préconçue ». Et cette idée ne peut venir à l’esprit que d’un être cultivé dans le domaine qu’il étudie et l’un des meilleurs exemples peut être donné par Galilée et l’usage d’un objet technique comme la lunette astronomique : elle est l’occasion pour lui de voir un fait qui détruit la conception aristotélicienne des astres à la matière parfaite, qu’il fallait préalablement connaître pour faire de la nouvelle observation un fait scientifique polémique.

La lunette et la nouvelle cosmologie : la lune n’est qu’une terre.

En 1609 Galilée a entre les mains une lunette qui vient de Hollande[1]. Elle présente le défaut de déformer les objets. Il essaie d’en fabriquer une en espérant en tirer un grand bénéfice, ce qui lui permettrait de se consacrer uniquement à l’écriture. Il décide de faire tailler ses lentilles dans les ateliers de Venise qui est la capitale européenne de la verrerie. La première lunette offre un grossissement de 6 sans déformations. Il produit ensuite une lunette qui grossit neuf fois[2] et il invite alors (1609) les autorités de Venise à monter au sommet du campanile à près de 70 mètres de haut. Son invention  apparaît comme véritablement magique à ces notables. Il offre son instrument à la république de Venise; le Sénat double son salaire et le confirme comme professeur à vie. On voit que Galilée n’est pas seulement un savant spéculatif mais qu’il pense toujours à l’utilité pratique que ses travaux peuvent entraîner.

Galilée, doté de ce nouvel instrument efficace, a alors l’idée de regarder le ciel (il y découvre une infinité d’étoiles) et il porte d’abord son attention sur la lune. Dans la conception aristotélicienne du monde, la lune est une boule lisse et parfaite, polie comme du cristal. Or il s’aperçoit qu’il existe des petits points blancs qui apparaissent dans les zones sombres ; il voit aussi des sphères régulières. Il interprète ce phénomène comme le signe qu’il existe sur la lune du relief, ce qui contredit l’idée d’Aristote selon lequel la lune est constituée d’une matière parfaite. L’irrégularité de la limite entre l’ombre et la lumière apporte une nouvelle preuve de l’existence du relief et des montagnes sur la lune: «les apparences qui m’ont conduit à ces conclusions sont les suivantes : quatre ou cinq jours après la nouvelle lune, écrit Galilée dans son livre Le messager des étoiles, quand la lune à des cornes brillantes, la limite entre l’ombre et la lumière n’est pas du tout une ligne uniforme, comme sur une sphère parfaite, mais au contraire elle est accidentée, irrégulière et pleine de zigzags[3]». Aristote à tort. Plus tard, il écrit qu’il voit des taches sombres dans la lumière et des taches claires dans l’ombre. Et à mesure que la limite se déplace, des taches noires diminuent et des taches lumineuses augmentent. C’est exactement ce qui se passe sur la terre lorsque le soleil monte dans le ciel: la partie éclairée des montagnes augmente tandis que diminuent les taches sombres des vallées. Il y a donc des montagnes sur la lune dont il arrive à calculer l’altitude en mesurant les différentes longueurs de leurs ombres : il aboutit à une hauteur de 7 km. Et pour décrire ce qu’il voit, il utilise les mêmes concepts que ceux que l’on utilise lorsqu’on parle de la terre, à savoir, des cratères, des montagnes etc. Bref, la lune n’est qu’une terre et est constituée d’une même nature. La conception ancienne du monde partagé en monde sublunaire imparfait et en monde supralunaire constitué d’une matière parfaite s’effondre. La signification du cosmos change totalement. Il n’y a qu’un seul monde et non pas deux et les lois de la physique y sont identiques.

 

Croquis de Galilée (les cratères de la lune) :

La lune jusqu’alors était imaginée comme une grande sphère parfaite, rigide et polie, sans imperfection ni rugosité à sa surface. Galilée, après l’avoir observée pendant l’hiver 1609, détruisit complètement cette vision en dessinant les cratères multiples, sa surface complètement irrégulière, semblable à ce que l’on voit … sur Terre.

 

Et pourtant la lunette a été fabriquée sans connaître les lois scientifiques de l’optique !

Il ne faudrait pourtant pas croire que la science progresse nécessairement par l’application pure et simple de la seule raison. On vient de voir que Galilée avait demandé à des artisans d’améliorer la puissance optique de la lunette mais, ni Galilée ni les artisans, ne connaissaient les lois de l’optique et c’est donc, par bricolage, par hasard, qu’ils sont parvenus à leur fin. Cela scandalise Descartes dans les premières pages de « La dioptrique ». Certes, Il fait d’abord l’éloge de cette nouvelle technique qui accroît les pouvoirs de nos sens :  «Toute la conduite de notre vie dépend de nos sens, entre lesquels celui de la vue étant le plus universel et le plus noble, il n’y a point de doute que les inventions qui servent à augmenter sa puissance ne soient des plus utiles qui puissent être. »  Et il constate cette fécondité qui a permis la découverte « de nouveaux astres dans le ciel, et d’autres nouveaux objets dessus la terre, en plus grand nombre que ne sont ceux que nous y avions vus auparavant ». Mais il montre que c’est un certain Metius, sans aucune culture scientifique (« qui n’avait jamais étudié »), qui en se divertissant, avec différents types de verres avait constaté, purement par hasard et sans idée scientifique régulatrice, que certaines combinaisons de ces verres produisaient un effet grossissant. Et c’est à partir de ces simples constations empiriques que furent construits les premières « merveilleuses lunettes ».

Et pourtant cet éloge de cette nouvelle technique accroissant les pouvoirs de l’homme provoque chez Descartes une violente critique : « Mais, à la honte de nos sciences, cette invention, si utile et si admirable, n’a premièrement été trouvée que par l’expérience et la fortune. » Pour Descartes seule la raison devrait conduire la démarche des hommes, même dans le domaine de la technique ; et c’est ainsi qu’il présente la démarche que devrait suivre les techniciens quand ils s’intéressent à un objet. Le scientifique qu’il est, doit instruire scientifiquement l’artisan afin que son action soit guidée par la raison et non par le hasard  : « Et d’autant que l’exécution des choses que je dirai doit dépendre de l’industrie des artisans, qui pour l’ordinaire n’ont point étudié, je tâcherai de me rendre intelligible à tout le monde, et de ne rien omettre, ni supposer, qu’on doive avoir appris des autres sciences. C’est pourquoi je commencerai par l’explication de la lumière et de ses rayons ; puis, ayant fait une brève description des parties de l’œil, je dirai particulièrement en quelle sorte se fait la vision; et ensuite, ayant remarqué toutes les choses qui sont capables de la rendre plus parfaite, j’enseignerai comment elles y peuvent être ajoutées par les inventions que je décrirai. »

Concluons deux choses de cet exemple pris chez Descartes :

1° la science doit suivre une démarche rationnelle, démonstrative, explicative, rendant compte des résultats qu’elle veut obtenir ; ce serait « honteux » de rechercher un effet par le seul hasard. Certes, l’invention de la lunette est le fruit d’une recherche purement empirique mais on peut rappeler que durant plusieurs siècles les alchimistes ont expérimenté en vain pour trouver la pierre philosophale. Sans théorie rationnelle préalable permettant la testabilité d’une hypothèse, pas d’expérimentation digne de ce nom et réciproquement sans expérimentation qui confirme ou infirme l’hypothèse, il n’y a pas de science.

2° la science mais aussi la technique doit, selon Descartes, servir à améliorer le sort des hommes en transformant le monde. La finalité devient d’être « comme maître et possesseur de la nature » ; nous allons y revenir.

(à suivre ici)

[1] Cet instrument, fabriqué par des opticiens hollandais, existait depuis cinq ans et en 1608 certains opticiens parisiens en vendaient. Mais, comme ce sera le cas plus tard pour le microscope, il est utilisé dans un but de divertissement. De plus, les savants de l’époque n’en voient pas l’intérêt dans la mesure où, pour eux, elle ne peut produire que des illusions, des tromperies alors que la vérité se situe essentiellement dans les livres. Rappelons que ce Galilée écrit à cet égard dans le Dialogue: «Signor Simplicio, présentez donc des raisons et des démonstrations – les vôtres ou celles d’Aristote –, pas des textes et de simples autorités : nos discussions doivent porter sur le monde sensible, pas sur un monde de papier.» Et dans une lettre à Kepler «pour eux, la philosophie est une sorte de livre, comme l’Énéide ou l’Odyssée, à l’intérieur duquel il faut chercher la vérité : non dans l’univers ou la nature, mais, pour utiliser leurs propres mots, par la confrontation des textes». Pour être tout à fait exact sur l’emploi de la lunette, Galilée n’est pas le premier à regarder le ciel avec un télescope. En 1608, Pierre de l’Estoile a étudié la possibilité d’observer le ciel à l’aide de cet instrument  Durant l’été 1609, le scientifique anglais Thomas Hariot travaille à une cartographie de la Lune. Plus tard, Galilée doit affronter les revendications de Symon Mayr, qui prétend avoir précédé le savant italien dans l’analyse télescopique du système de Jupiter. Galilée parvient néanmoins le premier à un ensemble de grandes découvertes qu’il publie très rapidement. Ce qui fait sa supériorité, ce n’est pas simplement sa capacité à construire des instruments plus performants, c’est surtout l’ampleur de sa perspective scientifique, bref, sa faculté de penser et de théoriser ce qu’il voit dans le télescope.

[2] Très rapidement, il parviendra à en fabriquer une qui grossit vingt fois.

[3] On remarquera au passage que chez Galilée, l‘observation précise de l’expérience est étroitement liée à la raison, à la théorie qui essaie de donner un sens à ces observations. En d’autres termes, l’expérience ne peut pas instruire un esprit qui ne l’aborde pas avec des questions, des théories préalables.

(à suivre ici)