Discuter, est-ce renoncer à la violence?

Toujours chercher un paradoxe dans l’intitulé. Ici, il est aisé, dans un premier temps, de s’étonner de la formulation de l’intitulé dans la mesure où il semble évident que si l’on échange par la parole avec autrui, on ne recourt pas en même temps à la violence. C’est précisément ce qui se passe dans les relations entre Etats : tant qu’il y a dialogue entre les différents membres (ambassadeurs, chefs d’Etat) des Etats qui s’opposent, la guerre ne se produit pas. Inversement, la fin des discussions aboutit dans la plupart des cas à la manifestation d’actes violents qui ne passent plus par la parole. Il serait facile de montrer cela en se servant d’exemples historiques multiples que le fait d’entamer des discussions, par exemple pour la négociation d’un traité de paix, a pour effet de mettre fin à la violence.

Mais dans un second temps on devrait remettre en question certains présupposés portant sur les notions de violence, de discussion et du langage. Est-il légitime d’opposer ce qui serait de l’ordre purement physique (la violence) à ce qui serait de l’ordre psychologique, spirituel (la parole) ? Peut-on parler de deux natures, de deux essences différentes s’excluant l’une l’autre de telle sorte que la présence de l’une (la parole) exclurait la seconde (la violence) ?

Déjà, on peut, dans les faits, constater que discuter n’implique pas nécessairement un renoncement à la violence car la parole peut être un moyen de leurrer son interlocuteur sur les fins véritablement poursuivies. Si le loup dialogue avec l’agneau, ce n’est pas dans l’intention de renoncer à la violence radicale qui est de le manger, mais seulement d’attendre le bon moment pour le saisir. C’est ainsi qu’Hitler a procédé pendant des années avec les pays d’Europe avant de déclencher la guerre qu’il avait programmée. Cependant dans ces deux exemples, nous maintenons une extériorité, une différence de nature entre le dialogue et la violence, le premier ne servant que de propédeutique au surgissement de la violence.

Approfondir l’interrogation sur l’intitulé nous oblige alors à nous questionner sur la nature de la parole et sur sa capacité à appliquer à autrui un véritable rapport de force qui n’est autre que de la violence. Ainsi, certains traités de paix, fruits d’un dialogue intense entre des parties voulant achever une guerre, peuvent être ressentis par l’un des protagonistes comme une violence inacceptable : tel fut pour les allemands le Traité de Versailles qui a nourri un ressentiment utilisé par la suite par la propagande nazie.

De plus, on sait qu’il peut y a voir des mots qui tuent comme on le voit dans le théâtre de Strinberg : «Tes paroles entrent en moi comme des lames, je sens qu’elles coupent, qu’elles coupent quelque chose, mais je ne puis les empêcher», dit un personnage d’une de ses pièces. La contrainte que l’on applique à autrui, ce que l’on nomme violence, ne se limite pas à la seule sphère physique, à une atteinte corporelle, physique. Et la discussion, loin de faire disparaître la violence, peut-être au contraire, son meilleur mode d’expression pour annihiler ses opposants.

Si la discussion peut être ce qui met fin à la violence, elle peut tout aussi bien être ce qui la manifeste le mieux et ce n’est pas l’élève qui a reçu un jour une parole d’un enseignant le figeant dans un destin d’incapable qui dira le contraire.