(ce qui précède est ici)

[Corrélats avec le programme : le vivant, théorie et expérience, raison, vérité, désir, société]

Le professeur Raoult bricoleur de génie ou savant guidé par la seule raison ?

 L’épidémie actuelle du Covid-19 peut nous permettre de mettre à l’épreuve ce que nous venons de dire. Et le professeur Raoult est un excellent objet d’étude épistémologique. Bien entendu, il ne s’agit pas de dire si son traitement est bon ou mauvais ; il nous faut voir si, dans son comportement de médecin et de scientifique, il remplit les conditions de rationalité que nous avons exposées concernant la méthode expérimentale. Remarquons, pour faire plaisir à Descartes, qu’il ne s’agit pas de chercher empiriquement une solution que le hasard pourrait nous apporter.

Ce professeur se trouve en présence de malades qui risquent la mort si leur état s’aggrave; il sait que la cause des symptômes présentés se trouve dans l’apparition d’un nouveau virus. Son but, en tant que médecin, n’est pas de connaître la structure du virus (ce travail a été effectué par la communauté scientifique mondiale en 1 semaine) mais d’envisager une thérapie efficace qui puisse répondre au désir de la population d’échapper à la maladie et peut-être à la mort. Conformément à la méthode expérimentale que nous avons décrite, il émet une hypothèse, une théorie au sens faible de ce mot : lorsqu’un sujet est porteur de ce virus, ses défenses immunitaires se mettent en marche et, plus l’infection progresse, plus la réaction de ces défenses deviennent fortes au point qu’elles finissent par attaquer l’organisme lui-même.

Il faudrait donc proposer au malade un médicament, la chloroquine, qui est utilisé depuis cinquante ans, pour ses vertus antipaludéennes, ainsi que pour le traitement de maladies auto-immunes comme le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde (on apprend bien après le travail du professeur Raoult qu’un autre médicament, utilisé pour les mêmes maladies, aurait pour effet de ne pas permettre à l’organisme de s’autodétruire). Fort de cette hypothèse, le professeur Raoult est passé à la pratique en donnant systématiquement ce médicament à ses patients (plus précisément c’est «un traitement par l’association hydroxychloroquine + azithromycine.) Le résultat est présenté par lui comme positif : la plupart des malades ont guéri sans passer par la réanimation et le taux de mortalité semble inférieur à ce que l’on obtient par ailleurs dans les autres hôpitaux.

La vérité du savant de Marseille n’est-elle vraie qu’à Marseille?

S’agit-il pour autant de l’application de la méthode expérimentale que nous avons exposée ? Il n’en est rien dans la mesure où l’absence d’échantillon témoin de malades ne recevant pas ce traitement, ne permet pas de le comparer à l’échantillon traité à la chloroquine. Le professeur Raoult ne peut donc pas, en toute rigueur, affirmer qu’il a démontré scientifiquement l’efficacité de son traitement contre ce virus. Il est, sur ce cas, plus près du bricoleur Metius fabricant de la lunette dont parle Descartes que d’un véritable scientifique. S’il se trouve qu’un jour on prouve qu’il avait raison, on devra dire que c’est par hasard et non par une démonstration rationnelle qu’il a trouvé un bon médicament pour ce virus. Il est dans la position d’un joueur qui dispose d’une dizaine de numéros, en choisit un, et le hasard du tirage fait qu’il a choisi le bon. Le professeur Raoult disposait d’une petite dizaine de médicaments antiviraux possibles ; si c’est celui qu’il a choisi (certes avec quelques arguments) qui est efficace, il serait aussi absurde de le féliciter que de célébrer l’intelligence du joueur qui avait, par hasard, choisi le bon numéro à la loterie !

Il existe cependant une différence importante entre le bricoleur Metius et le professeur Raoult : ce dernier est allé aux écoles, comme on le dit familièrement ; il est un spécialiste des virus et a notamment travaillé sur les virus géants (Mimivirus, découvert en 1992, et Spoutnik, en 2008). Par conséquent l’hypothèse qu’il a formulée n’était pas le fruit du pur hasard et n’apparaissait pas comme totalement gratuite ou irrationnelle. Mais, quel que soit le scientifique, prix Nobel ou pas, les vérités scientifiques, établies auparavant par eux, ne peuvent jamais être la preuve et l’assurance qu’une affirmation nouvelle venant d’eux, est vraie ! Les vérités établies dans le passé ne sont pas les vérités du présent qui doivent être démontrées. Nous n’ironiserons pas sur ce pauvre professeur Montagnier co-découvreur du virus du sida et prix Nobel pour cela, qui affirme la vérité d’une théorie fumeuse de la mémoire de l’eau, de la téléportation de l’ADN etc.

Einstein est un exemple plus sérieux. Dans sa présentation de la relativité générale, il écrit l’équation qui décrit l’évolution de l’univers en fonction du temps et elle montre que l’univers n’est pas statique mais instable. Pourtant, victime des préjugés qui affirmaient que l’univers était statique et immuable, il ajoute une constante cosmologique qui fixe ce univers ; il affirmera qu’il s’agit là de la plus grosse erreur qu’il ait pu faire.

On sait également qu’Einstein est resté toujours critique envers la théorie quantique il avait proposé dans un article de 1935 écrit avec Boris Podolsky et Nathan Rosen une expérience de pensée qui avait pour but de réfuter l’interprétation de la mécanique quantique qui oblige à penser en termes probabilistes. Il ne s’agissait pas, dans ce cas, d’affirmations non fondées ; il voulait mettre à l’épreuve, de façon rationnelle, les thèses de la nouvelle physique en imaginant une expérimentation qui devrait contredire certaines conséquences de celle-ci : il y aurait des variables cachées qui, découvertes, permettraient de revenir à une physique strictement déterministe, celle dans laquelle, selon sa propre expression « Dieu ne joue pas aux dés« . Alain Aspect, notamment, a démontré qu’il avait tort mais, à la différence de ce que vient de faire le professeur Raoult, il s’était comporté sur ce point en scientifique rationnel. Et s’il avait eu connaissance de l’expérimentation effectuée par Alain Aspect il aurait conclu qu’on lui apportait la preuve qu’il n’avait pas raison.

(à suivre ici …)