Il ne faut pas confondre société et État. Il peut y avoir société sans qu’il y ait d’État (cas des sociétés primitives et de certains penseurs politiques comme Marx et les anarchistes qui pensent, selon des modalités différentes, une fin de l’État). Pour qu’il y ait État, il faut :

1) l’existence d’un territoire ; sans cela, il n’y a qu’une nation (une nation juive et palestinienne ont existé avant l’instauration d’un État israélien et palestinien).

2) un ensemble d’institutions gouvernementale, juridique, politique, économique, culturelle, militaire qui exerce son pouvoir de régulation. Cet ensemble d’institutions renvoie à ce que l’on peut nommer les différentes formes de pouvoir. On trouve ici le sens originel du mot État. C’est un terme savant de la politique européenne au Moyen Age, un mot venu du droit romain afin d’exposer à la vue de tous comment les choses du pouvoir tiennent debout. Ce terme savant évoque la station verticale, la construction de l’homme. L’État est donc un ensemble d’institutions qui tiennent debout grâce à des arrangements, des montages. Tout comme les religions au Moyen Age, les États sont les montages qui assurent la stabilité du pouvoir qu’ont les sociétés de se reproduire mais sur une certaine base. Le concept même d’État peut nous amener à voir que tout en étant lié intrinsèquement au temps, il est ce qui perdure d’une certaine façon, et pour quelques temps, aux changements. C’est ce que l’on peut saisir dans la définition de l’État par Carl Schmitt dans son livre « La notion de politique » (Champs Flammarion p. 57) : « l’État, au sens strict du terme, l’État, phénomène historique, c’est un mode d’existence (un état) spécifique du peuple, celui qui fait loi aux moments décisifs, constituant ainsi, en regard des multiples statuts imaginables, tant individuels que collectifs, le Statut par excellence ». On trouve dans cette définition qu’à la fois :
–  L’État est un phénomène historique ; il est donc dans le temps, pris dans les changements
– mais selon l’étymologie même du mot État, il est ce qui tient, perdure aux changements ; il est insistance de ce qui est car dans État il y a le verbe stare qui veut dire se tenir, être en arrêt (en français on dit d’un chien qu’il est en stance). Il est donc un ensemble d’institutions qui stabilisent, fixent, coagulent ce qui se dissoudrait dans l’espace et le temps
L’État fait loi ce qui signifie selon l’étymologie du mot lex qu’il attache, relie, lie ce qui pourrait être amené à changer et à se dissoudre. Il est donc ce qui achève et attache la société civile en l’empêchant de se disperser.
Ainsi tout en étant de l’ordre du temps, le politique et notamment l’une de ses expressions majeures, l’État et l’ensemble des institutions qui le constituent, sont une façon de lutter contre le temps et contre les changements brusques.

Ce pouvoir des institutions de l’État peut prendre des formes variées notamment physique (armée, police) ou symbolique (école par exemple). L’État présente donc une violence irréductible dans la mesure où il dispose d’une violence légitime qui est celle de l’armée et de la justice. En toute rigueur il faudrait dire que l’État dispose de la force et non de la violence (le policier doit utiliser la force selon le droit) ; et cette force n’est pas légitime mais légale (tuer un être qui menace réellement notre existence est légale mais on ne voit pas comment on pourrait la qualifier de légitime, à moins d’accorder une valeur morale  au fait de tuer quelqu’un).

3) que les hommes acceptent d’obéir à une autorité, plus précisément à un pouvoir ; il faut que certains obéissent et que d’autres commandent, ce qui est constitutif d’une inégalité.

Sur quoi se fonde cette inégalité ? La réponse à cette question conditionne les réponses différentes que l’on peut faire aux rapports entre État et liberté, État et justice etc.

a) Pour certains sur une inégalité naturelle : Aristote affirme que certains hommes par nature sont faits pour commander, d’autres pour obéir. Aujourd’hui, certains font appel à une inégalité naturelle fondée sur la génétique (on trouve un relai aujourd’hui dans l’utilisation idéologique de la biologie et notamment de la génétique dans ce qu’on appelle le darwinisme social).

b) Pour d’autres, cette inégalité est fondée sur la force comme on le voit nettement dans le cas de la tyrannie. On distinguera ici le point de vue du principe et le point de vue du fait. Sur le plan du principe, on pensera à Calliclès (personnage du dialogue, « Le Gorgias » de Platon) qui revendique que ce soit le plus fort qui commande : le vrai droit devrait être celui des plus forts et non pas le droit des faibles unis contre les forts. Sur le plan des faits, Marx, les anarchistes constatent que c’est la force qui fait le droit même si, le plus souvent, cette force est cachée, masquée (voir la critique des Déclarations des Droits de l’homme par Marx)

c) Pour d’autres encore, elle se fonde sur une convention, un contrat qui peut être soit fondé sur la force (droit d’esclavage des vaincus chez les Romains; mais s’agit-il d’une véritable convention?) sur une acceptation librement consentie (Rousseau, la démocratie).

d) On pourrait, bien sûr, trouver bien d’autres raisons d’obéir à un pouvoir comme le prestige d’un chef, la compétence de certains (technocratie).