Sujet 1 : Que gagne-t-on en travaillant ?
Sujet 2 : Toute croyance est-elle contraire à la raison ?
Sujet 3 : Expliquer le texte suivant
La fin de l’Etat n’est pas de faire passer les hommes de la condition d’êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d’automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s’acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une raison libre, pour qu’ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu’ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l’Etat est donc en réalité la liberté. [Et], pour former l’Etat, une seule chose est nécessaire : que tout le pouvoir de décréter appartienne soit à tous collectivement,soit à quelques-uns, soit à un seul. Puisque, en effet, le libre jugement des hommes est extrêmement divers, que chacun pense être seul à tout savoir et qu’il est impossible que tous opinent pareillement et parlent d’une seule bouche, ils ne pourraient vivre en paix si l’individu n’avait renoncé à son droit d’agir suivant le seul décret de sa pensée. C’est donc seulement au droit d’agir par son propre décret qu’il a renoncé, non au droit de raisonner et de juger ; par suite nul à la vérité ne peut, sans danger pour le droit du souverain, agir contre son décret, mais il peut avec une entière liberté opiner (1) et juger et en conséquence aussi parler, pourvu qu’il n’aille pas au-delà de la simple parole ou de l’enseignement, et qu’il défende son opinion par la raison seule, non par la ruse, la colère ou la haine.
SPINOZA
Traité théologico-politique
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
Cette année un choix de sujets très équilibré dans cette série et qui permette à des candidats ayant travaillé d’être tout à fait à l’aise. Pour ceux qui ont consulté ce site depuis quelques jours, la préparation aura été parfaite, puisque nous avons donné les conditions de possibilité de la notion de travail et une problématisation d’un sujet tombé à Pondichéry et très proche su sujet 2, à savoir « La religion est-elle contraire à la raison ? ». Pour ce dernier sujet, il suffisait de ne garder que le concept de croyance et la problématique est toute faite ! Relisez donc ce qui y est écrit !
Sujet 1 : Que gagne-t-on en travaillant ?
Ce sujet tombé en L est très proche de celui tombé en ES (« Travailler est-ce seulement être utile? »).
Attention : ce sujet ne porte pas sur le travail ni sur les aliénations du travail mais sur le gain.
Comme toujours, il faut dégager les conditions de possibilité des notions figurant dans l’intitulé. Pour le travail, on retient les 3 conditions de possibilité suivantes : production, pensée-réflexion, contrainte.
Pour qu’il y ait gain, il faut que quelque chose soit acquis par quelqu’un ? Ici, on ne demande pas ce que l’on perd en travaillant « je perds ma vie à la gagner » comme l’écrivait Marx pour qualifier un travail aliénant, mais ce que l’on peut acquérir. Bien entendu, rien ne m’interdit d’écrire que je peux gagner la perte du sens de mon existence mais on ne vous demande pas icic ce que l’on perd (par exemple, sa liberté, mais ce que l’on gagne!). Vous voyez qu’il n’était pas très difficile de problématiser cet intitulé en jouant sur les 3 conditions de possibilité de la notion de travail.
La difficulté du devoir consistera à partir du plus superficiel (j’acquiers en travaillant par la production de quoi subsister) à des raisons plus fondamentales, à savoir, le développement de mon intelligence, de ma raison (le travail est une activité qui exige une pensée) en passant par le développement de son être par la soumission à une règle, à une contrainte. Cela permettrait de voir que le travail permet à l’homme de devenir un homme et pour ceux qui auraient d’avoir une excellente note, il serait très intéressant d’envisager un gain de nature métaphysique : le travail, par le dépassement de la contrainte, permet à l’homme d’être libre et dans une perspective religieuse (à laquelle on n’est pas obligé d’adhérer) de dépasser sa simple condition terrestre (veleur rédemptrice du travail chez les chrétiens).
Nous n’avons pas tout développé, mais on pourrait réfléchir sur le « on« . A quoi renvoie-t-il ? A une communauté ? Le travail ne nous permettrait-il pas d’acquérir une vie communautaire, une vie en société dans laquelle les différents travailleurs deviennent les membres d’un même tout ?
Enfin, le sujet ne dit pas le travail mais « en travaillant » ; il met donc l’accent sur le fait même de travailler, sur l’action elle-même ? Le fait de travailler ne me ferait-il pas sortir d’une inaction stérile et aliénante ?
Sujet 2 : Toute croyance est-elle contraire à la raison ?
Comme nous l’avons dit plus haut, vous trouverez la problématique dans ce que nous avions écrit il y a quelques jours à propos du sujet tombé à Pondichéry. Il suffit de ne garder que ce qui concerne la croyance et de l’opposer à la raison. Et on pourrait jouer sur les différents types de croyance que nous rappelons ici (croire que ; croire à ; croire en). La raison peut être amenée à croire que. Donnons un seul exemple de tout scientifique qui ne peut pas refaire toutes les expérimentations de ses collègues dans le domaine qu’il étudie : il est obligé de faire confiance à la rationalité de ses collègues. C’est d’ailleurs ici que se glissent les nouvelles formes de critique de la raison chez certains esprits « enfumés » par des idéologies intégristes : ils cherchent à mettre en doute la rationalité de la science en affirmant que celle-ci ne démontre pas telle ou telle thèse par exemple sur l’évolution …
– Quand je dis que je crois que, je pose une affirmation qui est conjecturale, possible, et qui relève de ce que l’on nomme opinion. Nous retrouvons l’emploi habituel, quotidien dans lequel je ne pense vraiment pas ce que je pense et je n’engage ni ma subjectivité ni l’affirmation d’une vérité.Tel est le cas de l’expression: «je crois qu’il fera beau cette semaine». On comprend dès lors pourquoi, cette expression est dévalorisée dans le domaine de la connaissance. On est dans le domaine de l’opinion.
– Quand j’affirme que je crois à, je m’implique un peu plus dans ce que j’affirme et je réfléchis, je pense la proposition à laquelle j’adhère. Cette expression a l’intérêt de montrer une distance entre le sujet et son affirmation qui est la gage d’une réflexion. Elle trouve son meilleur domaine d’application dans le domaine éthique. Si je crois au sens de la vie, cela m’incite à avoir tel ou tel comportement et telle ou telle valeur.
– Mais si je dis je crois en, je m’implique totalement dans ce que je pose, ce qui est le propre de la foi et non plus d’une simple croyance-opinion. (Ici le verbe croire (credere en latin) retrouve sa signification religieuse qui était la sienne à l’origine, comme l’indique le Dictionnaire historique de la langue française. Dans la foi, le sujet vit, selon l’expression de Max Scheler, l’expérience d’une « auto-inclusion« , dans l’absolu, il est immergé totalement en lui en lui attribuant une valeur extrême. Ceci implique que la foi se définit d’abord comme un mouvement de confiance qui pose comme vraies certaines propositions, sans qu’il y ait besoin de preuves.
Sujet 3 : Expliquer le texte suivant
La fin de l’Etat n’est pas de faire passer les hommes de la condition d’êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d’automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s’acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une raison libre, pour qu’ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu’ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l’Etat est donc en réalité la liberté. [Et], pour former l’Etat, une seule chose est nécessaire : que tout le pouvoir de décréter appartienne soit à tous collectivement,soit à quelques-uns, soit à un seul. Puisque, en effet, le libre jugement des hommes est extrêmement divers, que chacun pense être seul à tout savoir et qu’il est impossible que tous opinent pareillement et parlent d’une seule bouche, ils ne pourraient vivre en paix si l’individu n’avait renoncé à son droit d’agir suivant le seul décret de sa pensée. C’est donc seulement au droit d’agir par son propre décret qu’il a renoncé, non au droit de raisonner et de juger ; par suite nul à la vérité ne peut, sans danger pour le droit du souverain, agir contre son décret, mais il peut avec une entière liberté opiner (1) et juger et en conséquence aussi parler, pourvu qu’il n’aille pas au-delà de la simple parole ou de l’enseignement, et qu’il défende son opinion par la raison seule, non par la ruse, la colère ou la haine.
SPINOZA
Traité théologico-politique
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
Texte facile et classique de Spinoza qui pose la question essentielle de la finalité du politique : sécurité et liberté ; sécurité ou liberté . La bonne copie essaiera de réfléchir aux conditions qui permettent à Spinoza de défendre cette thèse concernant la finalité de l’État. Il s’agit des présupposés anthropologiques : quelle est l’essence de l’homme ?
– Si l’on répond, comme Hobbes, que l’homme, par essence, est violent, le but de l’État ne peut être essentiellement que la sécurité et plus la sécurité est grande, plus on risque de transformer les hommes en « bêtes brutes ou automates »
– Si l’on répond comme Spinoza que l’essence de l’homme est la raison, le but de l’Etat ne peut être que la liberté
Encore faut-il ne pas commettre de contresens sur la liberté qui n’est pas de faire tout ce que ma puissance me permet de faire. La liberté est donc liée à la raison qui est ouverte sur l’universel donc sur une loi commune.
Conclusion : s’il est vrai que la sécurité est une valeur essentielle, elle ne peut pas être la valeur qui conditionne la vie au sein de l’Etat. C’est la liberté fondée sur la raison qui constitue la valeur essentielle.
Le danger, comme toujours sera la paraphrase si le candidat n’a pas fait l’effort de réfléchir sur les conditions de possibilité de la pensée de l’auteur.
Bonjour! Merci beaucoup pour ces corrections.
Puis-je me permettre de vous demande si le plan que j’ai utilisé est judicieux ?
J’ai choisi l’explication de texte.
Voici mes idées principales et mon plan :
Thèse : « la fin de l’état est donc en réalité la liberté »
Problème : Au premier abord on pourrait penser que le rôle premier de l’état est d’assurer, à tout prix, la cohésion sociale en aidant la société à se « tenir debout » (cf latin stare). Et pourtant, dans cet extrait, spinoza propose un modèle politique qui appréhende l’état comme nécessaire non seulement à l’établissement de l’ordre et de la paix, mais aussi comme indispensable pour assurer à ses sujets la liberté, leur permettant par là même de réaliser leur nature d’homme.
=> le rôle de l’état doit il se limiter au domaine strictement politique ? Doit il se limiter à la sphère publique ?
I. La définition traditionnelle du rôle de l’état
1) propos de spinoza qui implicitement critiquent ceux de Machiavel (par rapport au fait que spinoza dise que l’état ne doit pas transformer les hommes en bêtes ni en automates)
2) le rôle de l’état est d’assurer la sécurité et la cohésion sociale, selon un pacte social établi avec ses sujets
3) spinoza fait de la liberté le souverain bien, la fin de l’état.
II. Les moyens que spinoza propose pour parvenir à ce système idéal
1) évocation de la démocratie, absolutisme, d’une petite élite au pouvoir…-> son système semble accessible par tous les moyens ou presque
2) Les hommes ont tous des revendications différentes, tendent à favoriser leur propre intérêt
3) donc l’état doit incarner une unité cohérente et forte afin de pallier ces différences et donc il est nécessaire qu’ils abandonnent leur liberté d’agir seuls, pour le bien commun
III. Priver les individus de la liberté d’agir, ce n’est pas aliéner le sujet mais au contraire, lui permettre de réaliser son humanité
1) Il peut quand même jouir de sa liberté d’expression, droit inaliénable propre à l’homme, ce qui lui apprend le dialogue avec autrui, l’échange, contrairement au animaux -> processus d’humanisation
2) les individualités ne sont pas happées par la masse collective, au contraire la liberté d’expression permet au sujet de revendiquer ses opinions et particularités
3) ce système politique invite à user de la raison, développer son esprit critique, à penser, vivre moralement
Pensez vous que ce plan puisse fonctionner ? Je n’ai pas vu beaucoup de corrections reprenant ma 3ème partie, ce qui m’inquiète un peu car j’ai peur d’avoir fait un contre sens ou de m’être attardée sur des détails n’ayant que peu d’importance…
Merci d’avance pour votre réponse ! 🙂
L.
Je ne peux répondre aux questions car ce site voit la visite de plusieurs milliers de personnes différentes. Je fais ici cette seule exception pour dire que … je ne peux pas répondre et surtout parce qu’il est impossible d’évaluer une copie isolée et à partir d’un simple plan (le plan ne permet pas de voir s’il y a eu de gros contre-sens ou même une simple paraphrase etc.)! Je ferai simplement remarquer que le plan montre une bonne volonté évidente pour penser son explication et ne pas se contenter d’une paraphrase. Il montre au moins que vous avez essayé de penser et de ne pas vous contenter de paraphraser en découpant le texte, tel un malheureux poulet du dimanche … . C’est ce qu’il faut faire. Expliquer un texte c’est penser comme pour une dissertation. Il faut ensuite que cette pensée (distance par rapport au texte) soit véritablement articulée à la pensée de l’auteur.
Maintenant quelques remarques : d’accord sur la thèse : il restera à expliquer ce qu’il faut entendre par liberté selon Spinoza. (En revanche, je ne vois pas bien ce que vient faire par rapport au texte la phrase « le rôle de l’état doit il se limiter au domaine strictement politique ? Doit il se limiter à la sphère publique ? ».)
Ce que l’on peut savoir (ce n’est pas obligatoire pour avoir une bonne note! Vous voyez la difficulté d’évaluer un devoir) c’est que Hobbes et Spinoza partent d’une conception d’un état de nature et d’un droit (qui n’est pas un droit qui n’existe que dans l’Etat) de nature semblables : « dans la nature, écrit Spinoza, il n’existe rien qu’on puisse affirmer appartenir en droit à un être, plutôt qu’à un autre. Tous les biens sont la propriété de tous ceux qui ont la puissance d’en revendiquer la possession. » Hobbes écrit de la même façon que « Tout homme par nature a droit à toutes choses, c’est à dire qu’il peut faire ce qu’il veut à qui il veut, qu’il peut posséder toutes choses qu’il veut et peut posséder, en user et en jouir ». Ainsi, on trouve ainsi chez Hobbes et chez Spinoza l’affirmation selon laquelle chaque être humain possède un droit naturel à être et à maintenir son existence. Ainsi, selon Spinoza: chaque individu essaie de « persévérer dans son être dans la mesure de l’effort qui lui est propre » (ce que Spinoza nomme le conatus) en utilisant son désir et sa puissance. Il suit alors les règles de la nature selon lesquelles le gros poisson mange le petit. Il n’y a ni bien ni mal à cela: par droit naturel chaque être va jusqu’au bout de sa puissance et de sa force. cf. Adam et Eve qui ne peuvent commettre de péché à proprement parler dans l’état de nature et de citer saint Paul « qui ne reconnaît pas de péché avant la loi, c’est à dire quand les hommes sont considérés comme vivant sous l’empire de la Nature ». De même, Hobbes définit le droit naturel comme la faculté illimitée d’user de son vouloir dans la poursuite et la réalisation de ses désirs. Il donne à chacun le droit sur toutes choses (jus in omnia: natura dedit unicuique jus in omnia): « D’ailleurs la nature a donné à chacun de nous sur toutes choses un droit égal sur toutes choses » (De cive , 1,10, p .97 in Garnier Fl.). On comprend dès lors l’état de nature est, chez Spinoza comme chez Hobbes, un état de guerre permanent dans lequel chacun peut, à tout instant, perdre la vie.
Mais alors, quelle sera la finalité de l’Etat (thème de ce texte) ? On pourrait s’attendre à une réponse semblable chez Spinoza et chez Hobbes
En fait, la réponse donnée à la finalité de l’Etat dépend de la conception anthropologique des philosophes (dommage que cette notion ait disparu des programmes officiels car il est la clé avec celui de métaphysique de la plupart des sujets!). C’est la conception de l’essence de l’homme qui détermine les finalités que l’on donne à l’Etat. Si l’on pense, comme Hobbes que l’homme est méchant par nature, le but de l’Etat sera la sécurité. Et si c’est la sécurité, tous les moyens seront bons pour empêcher, dans et par l’Etat nommé Léviathan (monstre qui fait peur), les hommes de faire ce qu’ils veulent quand ils le veulent s’ils le peuvent. Et Spinoza reproche à Hobbes de transformer ainsi les hommes en automates. Mais si l’on pense, comme Spinoza, que l’essence de l’homme, c’est la raison, le but de l’Etat sera la liberté. Mais c’est ici qu’il ne faut pas commettre l’erreur de considérer la liberté (comme beaucoup d’élèves) comme le droit de faire tout ce que je veux si je le peux (cela revient à retomber dans l’état de nature). Il n’y a de liberté que liée à la raison qui doit avoir toujours le moyen de s’exprimer dans l’Etat. Sans cela l’homme perdrait son essence, ce que Spinoza reproche à Hobbes (un automate ne pense pas et ne raisonne pas et n’est pas libre). « L’homme qui est conduit par la Raison, écrit Spinoza, est plus libre dans la Cité où il vit selon le décret commun que dans la solitude où il n’obéit qu’à lui même » Ethique, 4, 73.
Ainsi le thème du texte est bien la finalité de l’Etat. La réponse de Spinoza, contrairement à celle de Hobbes qui met l’accent sur la sécurité, consiste à dire que c’est la liberté. Mais toute l’explication devrait montrer en quoi consiste cette liberté : ce n’est pas celle individualiste de Hobbes mais celle d’un sujet qui agit (la première phrase de votre partie 3 est très ambiguë mais je ne vois pas pourquoi cette partie 3 ne serait pas adéquate) selon la raison qui, étant universelle, s’ouvre au respect de l’autre à la communauté formée par l’Etat.