Les sujets dans la série S sont bien équilibrés et couvrent des parties différentes du programme, ce qui permettait au candidat d’avoir un véritable choix. Le seul danger sera de voir un très grand nombre d’élèves prendre le texte de Rousseau qui va donner lieu à une suite impressionnante de paraphrases et de notes qui surprendront ceux qui les recevront. L’explication de texte est l’épreuve la plus difficile, surtout quand on « comprend tout » du texte qu’on découvre !
1er sujet : Avons-nous le devoir de chercher la vérité ?
2ème sujet : Serions-nous plus libres sans l’État ?
3ème sujet : Expliquer le texte suivant
On façonne les plantes par la culture, et les hommes par l’éducation. Si l’homme naissait grand et fort, sa taille et sa force lui seraient inutiles jusqu’à ce qu’il eût appris à s’en servir ; elles lui seraient préjudiciables, en empêchant les autres de songer à l’assister ; et, abandonné à lui-même, il mourrait de misère avant d’avoir connu ses besoins. On se plaint de l’état de l’enfance ; on ne voit pas que la race humaine eût péri, si l’homme n’eût commencé par être enfant.
Nous naissons faibles, nous avons besoin de force ; nous naissons dépourvus de tout, nous avons besoin d’assistance ; nous naissons stupides, nous avons besoin de jugement. Tout ce que nous n’avons pas- à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l’éducation.
Cette éducation nous vient de la nature, ou des hommes ou des choses. Le développement interne de nos facultés et de nos organes est l’éducation de la nature ; l’usage qu’on nous apprend à faire de ce développement est l’éducation des hommes ; et l’acquis de notre propre expérience sur les objets qui nous affectent est l’éducation des choses.
Chacun de nous est donc formé par trois sortes de maîtres. Le disciple dans lequel leurs diverses leçons se contrarient est mal élevé, et ne sera jamais d’accord avec lui-même ; celui dans lequel elles tombent toutes sur les mêmes points, et tendent aux mêmes fins, va seul à son but et vit conséquemment. Celui-là seul est bien élevé.
ROUSSEAU, Émile
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
1° Avons-nous le devoir de chercher la vérité ?
Sujet qui a l’intérêt de vous obliger à faire le lien entre deux parties différentes du programme, à savoir, celui de la connaissance (la vérité) et celui de la morale. Et la question qui se pose d’emblée est de savoir s’il existe des liens possibles entre les deux ou si nous avons à faire à deux ensembles radicalement distincts de telle sorte que l’on puisse rechercher l’un (la vérité) sans qu’il y ait en nous une exigence morale (le devoir). Que nous cherchions la vérité est une chose mais pour autant peut-on dire qu’elle constitue un devoir de telle sorte que celui qui négligerait de la chercher agirait contre la morale ? Devrions-nous nous sentir obligés de rechercher la vérité? Inversement, en quoi pourrait-il être immoral de ne pas chercher la vérité ? Mais on ne peut pas ne pas s’étonner devant le fait qu’il semble ne pas y avoir de rapport possible entre ce qui est de l’ordre de la connaissance (et même de la science qui renvoie à l’épistémologie) et ce qui est de l’ordre de la vie, de l’existence, de l’action, ici, morale.
L’enjeu est important car il présuppose qu’il y aurait une volonté morale qui serait le moteur de la pensée ? Mais ce qui est de l’ordre de la vérité (proposition conforme à des critères rationnels préalablement posés) peut-il concerner une exigence morale? On remarquera que ce sujet ne porte pas tant sur l’aspect moral ou non des vérités que sur les raisons qui déterminent l’homme à rechercher ou ne pas rechercher la vérité. Le devoir de vérité comme exigence morale n’est-il pas un impératif qui détourne l’homme de fins qui lui seraient préférables pour le sens de son existence ? Le devoir de vérité n’est-il pas animé par un mépris de la vie, de l’existence ? Quelles sont les forces qui s’emparent de celui qui veut la vérité? Comme l’écrit Nietzsche, « si quelqu’un veut la vérité, c’est au nom de ce que le monde n’est pas. Il est entendu que la vie vise à égarer, à duper, à dissimuler, à éblouir, à aveugler ». Derrière le devoir de rechercher la vérité, n’y a-t-il pas une entreprise de nature nihiliste qui voudrait nous détourner tout simplement de l’existence, de l’art ? N’est-il pas significatif que les religions et certaines métaphysiques se présentent comme la source de la vérité absolue ? Ne sont-ce pas elles qui veulent nous imposer cette exigence morale de recherche de la vérité en nous détournant d’autres valeurs ? Et si la recherche de la vérité aboutissait à la prise de conscience que le fait de poser comme devoir cette même recherche n’est autre qu’une illusion ? Là encore, l’histoire ne nous montre-t-elle pas des contradictions permanentes entre des pensées religieuses et métaphysiques qui posent comme devoir, la recherche de la vérité et la condamnation de savants qui suivent le même principe ?
2° Serions-nous plus libres sans l’Etat ?
Sujet dangereux pour ceux (aliénés en nombre de plus en plus grand par la société dans laquelle ils sont …) qui affirment sans réfléchir qu’être libre, c’est faire ce que l’on veut quand on veut … Les S pourront lire les texte de Spinoza proposé aux L, et ils auront (presque) la réponse à leur sujet ! De plus, ce sujet ne pose pas que nous ne sommes pas libres dans l’Etat mais que nous serions plus libres dans l’Etat. Cela suppose que si nous enlevons l’État, il reste la société qui aurait non plus un droit et des lois au sens fort mais seulement des règles ou encore, en-deçà de la société, l’individu. Mais cela a-t-il un sens de dire, que l’on peut être plus ou moins libre selon le type de vie que nous menons ? Et la liberté exclut-elle tout rapport à la loi et à l’obéissance ? Inversement, ne faut-il pas penser comme Rousseau que « l’obéissance à la loi [instaurée par l’Etat seulement] qu’on s’est prescrite est liberté » ? Tel est cet apparent paradoxe que le candidat devra essayer de résoudre.
Autre danger : confondre ce qui est de l’ordre des faits (de la réalité) et du principe (du droit) : le fait de considérer que dans les faits les hommes sont méchants, violents et menacent la liberté des autres ou encore qu’il existe des États totalitaires, ne permet pas de répondre véritablement à la question posée. Celle-ci porte uniquement sur le droit, les principes: est-ce qu’il existe, en droit, un antagonisme, mieux une relation inverse, entre l’État et la liberté. Est-ce dans la nature même de l’État (et non pas dans le comportement empirique des hommes violents) de diminuer la liberté de ceux qui en font partie ?
Comme toujours, il fallait donner les conditions de possibilité et de la liberté et de l’État en essayant de voir ce qui pourrait permettre une opposition ou un rapprochement entre ces deux notions. Pour aller vite, disons que pour qu’il y ait État, il faut que certains obéissent à d’autres et à des lois. La question devient : serions-nous plus libres si nous n’avions pas d’organisation collective (société) et de lois et de représentants (État au sens strict) auxquels il faut obéir ? La réponse à la question repose sur la définition que l’on se fait de la liberté. Si l’on ne pose qu’une conception individualiste de la liberté, toute structure collective ne peut aller que contre la liberté. Mais une liberté qui ne se définirait que par l’individu n’est-elle pas absurde ? Poser l’individu comme un absolu a-t-il un sens ? Peut-on poser l’homme comme un Dieu qui n’aurait à rendre compte qu’à lui-même sans passer par la médiation de l’autre ? Tel est l’enjeu de ce sujet.
Donnons l’essence ou les conditions de possibilité des deux notions en présence :
– État nécessite 3 conditions de possibilité : territoire, institutions législatives, économiques, éducatives et pas seulement gouvernementale qui n’en constitue qu’une parmi d’autres, inégalité entre les hommes : certains commandent, d’autres obéissent. On évitera d’écrire, sauf pour avoir le même argument dans deux parties différentes, que l’État a le monopole de la violence légitime car, en droit, l’Etat dispose de la force (par exemple policière ou militaire régulée par la loi et la justice) et non de la violence et l’exercice de la force (par exemple pour protéger la vie des citoyens) n’est en rien morale mais simplement légale. Donc l’État dispose des forces qui permettent de faire respecter la légalité. Et pourrais-je dire que je suis moins libre quand un Etat démocratique impose au violent non pas la violence mais la force de la loi ?
– Liberté nécessite 3 conditions de possibilité: conscience, mieux raison, choix et volonté (Défaut : placer dans un sujet sur la liberté, les différentes conceptions de la liberté).
Dans ce devoir, il ne s’agit pas d’en rester à ces 3 conditions de possibilité de la liberté mais il faut les mettre en œuvre au sein d’un groupe, d’une collectivité que l’on nomme État. En d’autres termes, ce sujet nous oblige à envisager une modalité d’existence de la liberté, la liberté politique.
Est-ce que l’organisation inégalitaire constitutive de tout État diminue la liberté des hommes ? La loi qui vient de l’Etat n’est-elle pas la condition de possibilité de la liberté dans une vie collective ? Inversement le refus de tout fondement en dehors de son être (an-archie comme refus de tout principe extérieur à notre être) est-il la condition de possibilité de la liberté ?
3ème sujet :
Expliquer le texte suivant
On façonne les plantes par la culture, et les hommes par l’éducation. Si l’homme naissait grand et fort, sa taille et sa force lui seraient inutiles jusqu’à ce qu’il eût appris à s’en servir ; elles lui seraient préjudiciables, en empêchant les autres de songer à l’assister ; et, abandonné à lui-même, il mourrait de misère avant d’avoir connu ses besoins. On se plaint de l’état de l’enfance ; on ne voit pas que la race humaine eût péri, si l’homme n’eût commencé par être enfant.
Nous naissons faibles, nous avons besoin de force ; nous naissons dépourvus de tout, nous avons besoin d’assistance ; nous naissons stupides, nous avons besoin de jugement. Tout ce que nous n’avons pas- à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l’éducation.
Cette éducation nous vient de la nature, ou des hommes ou des choses. Le développement interne de nos facultés et de nos organes est l’éducation de la nature ; l’usage qu’on nous apprend à faire de ce développement est l’éducation des hommes ; et l’acquis de notre propre expérience sur les objets qui nous affectent est l’éducation des choses.
Chacun de nous est donc formé par trois sortes de maîtres. Le disciple dans lequel leurs diverses leçons se contrarient est mal élevé, et ne sera jamais d’accord avec lui-même ; celui dans lequel elles tombent toutes sur les mêmes points, et tendent aux mêmes fins, va seul à son but et vit conséquemment. Celui-là seul est bien élevé.
ROUSSEAU, Émile
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question
Quelle est la question de ce texte : En quoi l’éducation est-elle une nécessité pour l’homme ? Quelles en sont les modalités possibles ? Et qu’est-ce qu’une éducation réussie ? Le danger dans ce texte prêtant à la paraphrase serait de lire Rousseau à travers les lieux communs répandus pendant les cours de français qui ne renvoient qu’à un moment de sa pensée. Ici, on voit la nécessité pour devenir un homme de passer par la culture, par le rapport à autrui. La nature, contrairement au lieu commun sur Rousseau, ne produit pas des hommes mais seulement des animaux et c’est l’éducation qui nous rend hommes. C’est dans et par la société que nous quittons la condition animale. C’est pourquoi Rousseau écrit dans le Contrat social qu' »il [l’homme] devrait bénir sans cesse l’instant heureux qui l’en arracha [de la nature] pour jamais, et qui, d’un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme. »