A l’occasion de la FIAC (Foire internationale de l’art contemporain) 2014, une œuvre d’art placée au beau milieu de la place Vendôme a fait scandale : il s’agissait de l’installation d’une œuvre monumentale de l’Américain Paul McCarthy, un arbre en toile plastique d’un vert éclatant, dans lequel certains ont pu voir un objet à fonction sexuelle. Cette double lecture du même objet était possible comme le reconnaît l’artiste lui-même : « Tout est parti d’une plaisanterie : à l’origine, je trouvais que le plug anal avait une forme similaire aux sculptures de Brancusi. Après, je me suis rendu compte que cela ressemblait à un arbre de Noël. Mais c’est une œuvre abstraite. Les gens peuvent être offensés s’ils veulent se référer au plug, mais pour moi, c’est plus proche d’une abstraction.» Et la directrice de la FIAC justifie cette « exposition » en faisant allusion à ce que devrait être l’une des fonctions de l’art, à savoir, troubler et poser des questions : « A quoi sert l’art si ce n’est de troubler, de poser des questions, de révéler des failles dans la société ? » Laissons de côté les questions de la finalité de l’art (faut-il lui accorder la même finalité que la philosophie, à savoir, troubler et poser des questions ?) ainsi que celle de l’obscénité au sens étymologique du terme, de cette œuvre. Conseillons seulement à certains croyants catholiques contemporains choqués par un tel objet, de se voiler les yeux avant de pénétrer dans certaines églises qui se veulent tout à la fois, œuvres belles, lieux sacrés donc séparés de l’existence profane, et manifestations de cette même existence dont la sexualité fait partie dans ses modalités les plus diverses et les plus excentriques, (voir photo).

Cachez donc ces choses que je ne saurais voir … dans un lieu sacré et beau …
Modillon de l’église romane de Mauriac, Cantal

 Tout ce vacarme fait oublier la question essentielle : sommes-nous, comme le disent les organisateurs de la FIAC et l’artiste lui-même, en présence d’une œuvre d’art ? L’arbre en toile verte est dénué de toute valeur plastique et prétend pourtant au titre d’œuvre d’art ? Quelle est donc l’essence de l’art ? Quelles sont les conditions de possibilité de l’art et d’une œuvre d’art ? Le concept d’art a-t-il le même sens aujourd’hui ? Peut-on encore parler d’art au sens rigoureux du terme ? On ne peut répondre à ces questions que si l’on fait l’effort de définir les concepts en présence.

1° Quelles sont les conditions de possibilité de l’art et de l’œuvre d’art ? Quelle est l’essence de l’art ?

 

On peut, pour trouver l’essence de l’art et d’une œuvre d’art, dégager 6 conditions de possibilité nécessaires et suffisantes.

1) une matière : l’œuvre d’art s’inscrit dans le sensible (ce sensible peut être de nature différente : couleurs, sons mais aussi mots)
2) une action (que l’on nomme production ou création) sur cette matière (trans-formation)
3) cette action est génératrice d’une forme (qu’on ne confondra pas avec un signe ou une image : voir ici) qui doit être singulière (qui se reconnaît dans le style propre à chaque artiste) : l’artisan n’est pas un artiste car il ne crée pas un style en suivant des règles précises. L’artiste est qualifié de génie car capable de créer sans règle préalable (« Toujours, nous serons tentés de chercher à la forme un autre sens qu’elle même et de confondre la notion de forme avec celle d’image qui implique la représentation d’un objet et surtout avec celle de signe. Le signe signifie alors que la forme se signifie« . Henri Focillon)
4) cette singularité a, en droit, une valeur universelle (même si elle n’est pas toujours reconnue comme telle dans la réalité)
5) cette forme est belle (elle n’est pas vraie ou utile ou morale ou immorale etc.)
6) cette forme belle produit quand on la contemple une joie, mieux, un bonheur : le bonheur du sentir (voir ici les développements sur ce point)

Mais ces 6 conditions de possibilité qui nous permettaient de donner l’essence d’une œuvre d’art ont été progressivement remises en question par des pratiques qui déconstruisent cette essence à tel point que le critique Harold Rosenberg (1907-1978) a décrit l’art de notre époque comme étant pris dans un mouvement de dé-définition qui en fait un objet incertain, ambigu, anxiogène. Mais alors, comment dire « c’est de l’art » ou « ce n’est pas de l’art » si nous ne disposons pas d’une définition de l’art, si nous ne possédons pas une essence de l’art ?

(à suivre ici)