Tout n’est pas plaisir ; le bonheur n’est pas le plaisir.

(Le début, c’est ici)

Une difficulté importante à surmonter par la plupart des candidats, porte sur la maîtrise dans l’emploi des concepts. Peu, malgré leur année de terminales, ont compris la distinction capitale entre le sens large et le sens fort ou strict d’une notion. Or, en philosophie, on doit toujours employer les concepts dans leur sens fort, surtout quand ils sont au centre du programme (mais quand on maîtrise vraiment ces différentes acceptions, rien n’interdit dans un devoir de jouer sur les deux sens en commençant, par exemple, son raisonnement sur le sens large pour mieux le remettre ensuite en question par le sens strict c’est-à-dire philosophique). C’est donc le cas de la notion de plaisir. Or, dans la vie courante comme malheureusement dans le domaine de sciences qui se disent rigoureuses, on utilise des concepts dans leur sens large, ce qui enlève au discours tenu une grande partie de sa valeur. Nous prendrons deux exemples récents, l’un dans la génétique pour faire plaisir aux anciens S, l’autre dans l’économie pour satisfaire l’appétit de rigueur chez les anciens ES.

Le gène du bonheur !

Depuis des années, la biologie, plus précisément la génétique, a l’ambition de rapporter nos comportements à des déterminismes stricts. Nous avons, depuis une trentaine d’années, entendu de nombreux cris de victoire annonçant que l’on avait découvert le gène de la dépression, de la schizophrénie ou de l’autisme. Sans discuter la légèreté de ces affirmations quant à l’unicité d’un seul gène comme déterminant d’un comportement, il eût été plus rigoureux de définir d’abord d’une façon scientifique donc universelle, ce que l’on entend par schizophrénie ou dépression, ce qui n’est pas du tout le cas dans les différentes communautés scientifiques ! Qu’en est-il du bonheur ? Dans la revue Progress in Neuro-Psychopharmacology and Biological Psychiatry d’août 2012, des chercheurs publient une étude intitulée : « The MAOA gene predicts happiness in women » que l’on traduit généralement en français par « Le gène MAOA ((gène monoamine-oxydase A) prédit chez les femmes le bonheur ». On fera déjà remarquer que traduire par prédire, comme il est courant de le faire, nous fait sortir du domaine qui se veut scientifique pour aller dans un autre purement irrationnel. On comprend la différence quand on déclare qu’on consulte les prévisions et non pas les prédictions météorologiques. Dans la prédiction (du type horoscope ou fin du monde pour bientôt !!), il y a une affirmation qui repose sur une croyance sans preuve (ou des pseudo-preuves) alors que dans la prévision, ce qui est dit, se fonde sur des raisons, des preuves (avec toujours des erreurs possibles) qui montrent un rapport (dont la nature est à préciser) entre telle quantité de cause et telle quantité d’effet.

Que prévoit donc cette étude ? Chez les femmes et non chez les hommes, la présence de ce gène MAOA, sous sa forme MAOA-L à faible activité, serait associée de façon significative au degré de bonheur. Les auteurs en concluent que «les progrès récents de la génétique moléculaire peuvent maintenant donner un aperçu des marqueurs neurobiologiques du bonheur humain».
On fera remarquer que, curieusement, le même gène MAOA sous sa forme MAOA-L avait été précédemment associé à la tendance à l’agressivité. A moins de penser de façon vraiment bizarre qu’il y a un lien entre le bonheur et l’agressivité (ce que l’on trouve, il est vrai, chez les personnages sadiens), cela fait beaucoup d’effets (contradictoires) pour un même gène. De plus, faire porter une attitude générale dans l’existence (ici le bonheur) sur un seul gène, relève de l’affirmation tellement générale qu’elle en perd toute valeur. A cela, on ajoutera que les auteurs semblent confondre une corrélation et une causalité : même si l’on accepte l’idée que ce gène puisse se trouver chez les femmes qui disent éprouver le sentiment de bonheur, rien ne prouve que ce sentiment trouve sa cause dans la présence de ce gène.
Mais ce qui nous intéresse ici, c’est l’emploi du mot bonheur (happiness) pour cet article qui se veut scientifique et qui devrait donc utiliser des concepts de façon rigoureuse. Or, il ne s’agit que du sentiment, ressenti par certaines femmes, d’être plutôt satisfaites par l’existence qu’elles mènent ; mais il ne s’agit pas de bonheur au sens rigoureux, tout au plus de … plaisir. D’ailleurs, en anglais, on dispose de happiness pour désigner le bonheur et de pleasure, enjoyment, pour parler de plaisir.

On pardonne aux scientifiques d’écrire un peu n’importe quoi mais pas à l’étudiant qui ne doit pas confondre le bonheur (que nous définirons un jour) et le plaisir
Allons-nous trouver chez les économistes sérieux les mêmes approximations quant aux notions de plaisir et de bonheur ? (à suivre donc ici)