La vie renvoie à deux dimensions, la vie biologique (bios) et l’existence (zoon). Dans chaque sujet posé, il faut se demander si le concept de vie qui s’y trouve ne renvoie qu’à une seule de ces dimensions ou aux deux. Il est étonnant de voir que peu d’étudiants, mis en présence d’un intitulé, sont capables de percevoir clairement le ou les sens du concept de vie à utiliser.
Dans cet exposé, nous ne renverrons qu’au premier sens du concept de vie, à savoir le vivant. Mais au lieu de nous contenter de livrer l’essence du vivant, nous voudrions l’insérer dans une question plus large qui est celle du naturel et et de l’artificiel. Cela nous permettra de réfléchir sur l’essence de la technique et sur ses possibilités de changer l’essence de la vie. L’homme, par sa culture et son action technique, est en mesure de rendre problématique ce qui, jusqu’alors semblait simple, à savoir, la vie naturelle, la vie biologique. Mais alors, paradoxalement, si l’homme est capable, par ses machines, par sa technique, par sa culture, d’abolir la différence de nature entre le vivant et l’artificiel, la vie, au sens biologique, ne peut être séparée de la vie comme existence puisque désormais le vivant se trouve saisi par la culture.
Introduction.
L’un des mythes fondateurs, en occident, qui permet de penser la technique dans son rapport à l’homme, est celui de Prométhée. On y voit, dans le récit de Platon du Protagoras, qu’en un sens, l’homme appartient à une distribution de la nature car il fait partie de l’ensemble des vivants fabriqués à l’intérieur de la terre à partir de la terre et du feu. Mais si Epiméthée accomplit une distribution naturelle pour les animaux, en combinant les avantages et les inconvénients (force sans vitesse ; « couverture naturelle » (321 b) pour dormir etc.), celle de Prométhée ne peut plus l’être, car il ne dispose plus de qualités naturelles à distribuer à l’homme. Celui-ci ne peut donc bénéficier que d’une distribution que l’on peut qualifier de voleuse et d’artificielle dans la mesure où Prométhée doit dérober les technai dans le ciel. L’artificiel vient ainsi, chez l’homme, suppléer à son insuffisance naturelle.
Ceci permet, en un sens, d’opposer radicalement ce qui est de l’ordre du naturel et de l’artificiel mais, en un autre sens, l’artificiel a pour fonction de suppléer et de se substituer à ce que le naturel aurait dû faire; ce qui n’est possible que s’il existe un certain passage, une certaine parenté autorisant la suppléance entre l’artificiel et le naturel. C’est pourquoi, ce mythe de Protagoras nous invite à réfléchir sur l’essence respective du naturel et de l’artificiel, sur la différence de nature ou de degré que l’on peut poser entre eux. Faut-il interpréter la conjonction de coordination « et » comme un simple rapport de succession temporelle, l’artificiel faisant alors simplement suite dans le temps au naturel défaillant. Ou bien, n’y a-t-il pas une relation de causalité dans la mesure où l’artificiel ne serait, en dernier lieu et malgré les apparences, qu’une production faite selon des lois naturelles? Ou bien encore, ne faut-il pas penser cette coordination comme le signe d’une réunion, d’une indistinction entre deux éléments devenus interchangeables, non distinguables? Bref, faut-il penser ces concepts dans le cadre d’un dualisme oppositif ou bien ne faut-il pas penser une sorte de monisme dans lequel il ne serait plus possible de distinguer deux natures, deux essences distinctes et séparées, que l’on nommerait naturelles et artificielles? Une telle interrogation a pour conséquence non seulement de penser l’être de la technique mais aussi de problématiser l’ensemble de ce que nous nommons réel ou être. Car la réflexion sur les relations possibles entre le naturel et l’artificiel a pour effet de nous obliger à penser l’être de la nature, du vivant, de l’homme dans sa relation à celle-ci. Faut-il dire avec Heidegger qui réfléchissait précisément sur le concept de nature (phusis) à partir de sons sens grec, « qu’aujourd’hui la vérité qui porte sur l’étant dans son ensemble, est devenue de fond en comble problématique » ? (Questions II, p. 488). (La suite ici)