Nous avons commencé à analyser l’intitulé en mettant l’accent sur les possessifs : le paradoxe le plus important portait alors que la contradiction qu’il y aurait à ce qui est mien (ce que je pose comme m’étant propre) ne soit pas mien (je serais possédé par mes désirs plus que je ne les possède) ! Grâce à cela, la problématisation (la seule chose vraiment demandée au candidat) était très avancée. Mais c’est la totalité du sujet qu’il faut interroger et nous ne pouvons pas nous contenter d’une compréhension non explicitée de la notion de désir. Comme toujours, il faut en donner les conditions de possibilité (l’essence), non pas pour monter au correcteur que l’on est capable de définir (cela ne sert strictement à rien sinon à jouer à l’âne) et que l’on a travaillé durant l’année (cela il est vrai peut permettre «de sauver les meubles») mais pour approfondir le questionnement, la problématisation. Ce qui suit devrait vous permettre de réviser l’essentiel de la notion de désir (rappelons que vous devez aller au bac en connaissant toutes les conditions de possibilité de toutes les notions à votre programme, ce qui représente une mémorisation extrêmement faible).

Que faut-il pour qu’il y ait désir :

Un manque, un creux par rapport à ce qui est, par rapport à ce qu’on est. Si nous étions satisfaits, comblés, (heureux), nous n’aurions pas de manque donc pas de désir. Comme il ne faut pas définir pour définir, il faut constamment penser, réfléchir en se demandant, si cette première condition de possibilité pourrait se rapporter à notre sujet. Le manque que je ressens dans le désir semble être le mien ; c’est moi qui ressens ce manque et qui l’exprime. Mais pour autant, en suis-je la cause ou simplement l’effet ? De plus, si je ressens un manque, cela a-t-il un sens de dire qu’il m’appartient ? Cela signifie-t-il simplement que le fait de désirer est ce qui m’appartient ? N’est-ce pas ce que dit Rousseau quand il écrit : « Malheur à qui n’a plus rien à désirer! Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède » : le manque du désir serait ce qui me caractérise et constitue mon être d’homme. Mais l’expression m’appartenir signifie aussi que je suis maître de moi-même ; or le manque n’est-il pas au contraire le signe que « quelque chose » m’échappe, est en dehors de ma prise ? Le manque n’est-il pas signe que je ne m’appartiens pas, de telle sorte que le désir, en tant que manque, serait ce qui me fait échapper à moi-même. Mais le manque constitue-t-il la seule condition de possibilité du désir ?
Il suffit alors de de se poser la question suivante : ne peut-il pas exister un sentiment (le désir n’est pas de l’ordre de la raison) de manque que l’on ne puisse pas qualifier de désir ? C’est le cas du besoin que l’on confond souvent avec le désir ; or, dans un devoir, nous devons toujours prendre les concepts qui figurent dans l’intitulé dans leur sens fort. La différence entre les deux, nous permet de mettre en place la deuxième condition de possibilité du désir.

Un manque de … ou un manque de … on ne sait quoi. Le besoin est manque de quelque chose de défini, d’un objet, alors que par définition le désir n’a pas d’objet qui puisse mettre fin au manque éprouvé. Comment cela est-il possible ? Parce que le creux, le manque, qui constitue le désir est produit en nous par la conscience dont la caractéristique est de se séparer de, de s’éloigner de, de néantiser, de creuser toute forme d’être. Aucun objet, aucun être ne pourra donc mettre fin au manque constitutif du désir puisque la conscience viendra, en quelque sorte déplacer, nier, ce qui nous avait comblé, créant ainsi un nouveau manque. Et c’est sur cette caractéristique du désir que le capitalisme montre sa force : puisqu’aucun objet ne peut mettre fin au désir, n’importe quel objet peut être proposé aux consommateurs en leur faisant croire (la composante de l’imaginaire est essentielle dans le désir) qu’il mettra fin à leur désir (ah ! ce nouveau téléphone portable, et cette tablette etc. …). Mais alors, si on parvient à me faire désirer une suite indéfini d’objets, comment pourrais-je dire que mes désirs m’appartiennent alors qu’ils sont produits par une société qui veut me faire consommer?

Et il y a encore pire, si l’on ose dire quant à notre sujet. Si c’est la conscience qui crée en nous un manque, une insatisfaction permanente, n’est-ce pas parce qu’elle est temps ? Il ne peut y avoir insatisfaction que parce qu’il y a temps ou plus précisément conscience du temps. En effet pour qu’il y ait insatisfaction dans le présent que je vis, il est nécessaire que le présent que je vis ne soit pas plein de lui même mais qu’il s’ouvre vers autre chose que lui même. Un présent plein de lui-même ne serait pas du présent mais de l’être c’est-à-dire de l’éternité; or l’éternité est ce qui est en dehors du temps. L’insatisfaction, le manque n’est possible que dans la mesure où le présent que nous vivons ne se suffit pas à lui même, nous déçoit et s’ouvre sur une autre dimension du temps qui peut être le passé ou l’avenir. Par conséquent il ne peut y avoir désir que s’il y a conscience du temps. Et n’oublions que le propre de la conscience est de séparer, s’éloigner de ce qui est, ce qui signifie que la conscience n’est autre que le creux, le néant, le non-être qui défait insensiblement l’être du présent: nous ne sommes jamais présent au présent puisque la conscience est ce qui à la fois, nous sépare du présent et en même temps, le constitue comme présent en renvoyant continuellement ce présent au passé.
Bref, pourquoi le désir est-il manque indéfini ? Car le désir est temps qui, par définition ne peut pas être possédé. Tout désir est temps et le temps est désir. On voit donc apparaître un autre problème dans notre intitulé. Si le désir est temps, comment pourrions-nous posséder ce qui par définition échappe à toute appartenance ?
Enfin, si le désir ne porte pas sur un objet, c’est à la fois parce qu’il est de l’ordre de l’imagination et parce qu’il vise non pas des objets mais, même à travers eux, autrui. Nous ne développerons pas ce point mais il est facile de voir qu’autrui, par définition, ne peut pas être un objet qu’on possède et qui pourrait nous appartenir. D’où la nouvelle question : si mon désir est désir d’autrui, la notion d’appartenance a-t-elle un sens ? Et si c’est autrui qui produisait en moi le désir ?

Conclusion : lire le sujet, le questionner, le mettre en question en déployant toutes les conditions de possibilité de chaque notion qui y figure : c’est cela faire une dissertation philosophique.