En philosophie, il n’existe pas de corrigé-type. Deux copies composées de façon extrêmement différentes l’une de l’autre peuvent obtenir une excellente note. La qualité essentielle est de montrer à son lecteur que l’on a compris le sens de l’intitulé et surtout que l’on a été capable de le problématiser. Et contrairement aux apparences, le fait que l’intitulé soit la plupart du temps formulé sous une forme interrogative ne signifie pas que la question soit posée ! Faire un devoir de philosophie consiste donc à transformer un intitulé en question en le problématisant.
Soit le sujet tombé en série L à Pondichéry en juin 2007 : « N’est-on responsable que de ses propres actes ? ». On remarquera, pour ceux qui ont pris la peine de lire l’ensemble des notions au programme, que ni la notion de responsabilité ni la notion d’action n’y figurent explicitement. Pour éviter d’écrire un devoir que l’on aurait pu aussi bien rédiger en classe de première sans avoir jamais fait de philosophie (ce qui risque de permettre d’atteindre au maximum la note de 5, même s’il n’existe aucune norme applicable mécaniquement par le correcteur), on ne saurait assez conseiller au candidat d’essayer, dans un premier temps, de rechercher le lien entre les concepts figurant dans l’intitulé et les notions du programme officiel. Ce ne sera pas difficile pour le concept de responsabilité qui renvoie essentiellement à la notion de liberté mais ce sera plus flou pour la notion d’action qui est à l’œuvre aussi bien dans la notion d’histoire, de travail, de technique, d’art, de droit que dans la politique mais aussi… de liberté qui n’a de sens que lorsqu’elle est mise en acte. De plus, comme l’intitulé oblige à envisager une responsabilité qui ne se limiterait pas à celle de « ses propres actes », il est indispensable de dépasser la seule notion de sujet pour la confronter à celles d’autrui, de société. On constate donc que ce sujet ne se prête pas aux « impasses » car il exige l’intelligence d’une très grande partie du programme. Mais avoir trouvé les notions du programme liées au sujet posé ne constitue pas notre question : cela permet seulement d’éviter de tomber dans des banalités non-philosophiques et de pressentir le type de question qui a une valeur philosophique. Pour trouver la question il faut donc rechercher les conditions de possibilité et de la notion de responsabilité et de celle d’action.

Que faut-il pour qu’il y ait responsabilité, c’est-à-dire capacité de répondre (ce mot vient du latin spondere qui veut dire promettre, s’engager)?
un sujet, ce qui suppose un être conscient, mieux capable de raison. C’est pourquoi n’est pas considéré comme responsable l’enfant puisqu’il ne dispose pas encore de la raison. De même le code civil prévoit que ne peut être considéré responsable celui qui commet un acte sous l’emprise de la folie.
un rapport à l’autre au sens général de ce terme. En effet, il ne peut pas y avoir de responsabilité si je suis seul ou si je ne tiens pas compte d’autrui dans mes pensées et mes actes. La responsabilité est toujours responsabilité devant quelqu’un; que ce quelqu’un soit une personne ou une société. La vie sociale est constitutive de cette notion car je dois rendre compte de mes actes devant les autres. Dans un état de nature tel que le pensent certains philosophes, que l’homme soit seul (comme le pense Rousseau) ou qu’il vive déjà regroupé (Spinoza et Hobbes), il n’y a pas de responsabilité car chacun peut faire tout ce que son droit de nature lui permet de faire. Il ne peut y avoir de responsabilité que dans la mesure où j’ai accepté des règles ou lois communes qui me donnent des droits et des devoirs mais par rapport à une collectivité dont je fais partie.
– Enfin, la notion de responsabilité implique une autre notion qui est celle de l’imputabilité, à savoir, que l’on puisse m’attribuer l’action en question, ce qui, nous l’avons vu, n’est pas possible pour le jeune enfant ou le malade mental. Cette imputation de l’action que j’ai faite qui peut porter aussi bien sur le droit que sur la morale, ne semble possible que si j’ai choisi auparavant ce que j’ai fait, que si j’ai agi volontairement, librement.
Quelles sont les conditions de possibilité de l’action?
un processus de modification, de transformation de ce qui est. Cependant cet élément n’est pas suffisant pour parler d’action au sens fort du terme car même si l’on dit en chimie ou en physique qu’un corps agit sur un autre, il ne s’agit pas véritablement d’une action.
un sujet qui produit la modification ou la transformation. Et pour qu’il y ait sujet, nous retrouvons des caractéristiques que nous avons déjà énoncées pour définir la responsabilité, à savoir, un être doté d’une conscience, mieux, d’une raison et qui soit libre. On comprendra cette caractéristique en songeant au fait que dans la plupart des Etats, on ne juge pas un meurtrier quand son « action » à été commise dans un état de démence, ce qui revient à considérer que cet « acte », aux yeux de la société et du droit, n’a pas eu lieu. Il ne suffit donc pas qu’il y ait transformation pour qu’il y ait action; la conscience, mieux la raison, car le malade mental dospose de la conscience en ayant perdu la raison, est une condition nécessaire de la notion d’action.

Quelle problématique pouvons-nous tirer de notre analyse des conditions de possibilité et de la responsabilité et de l’action?
Il semble donc que notre analyse des concepts n’aboutisse pas à une problématique car la responsabilité et l’action présupposent des conditions semblables, à savoir, être un sujet libre, volontaire et rationnel. Mais l’intitulé nous pose une autre question beaucoup plus difficile et délicate et vraiment paradoxale par rapport à notre travail d’élucidation. Si l’on conçoit que l’on assume et que l’on réponde de ce que l’on produit consciemment et rationnellement (l’intitulé nous accorde cela), comment penser une responsabilité d’actes qui ne nous sont pas propres c’est-à-dire que nous ne pourrions pas rapporter à un soi ? Certes, nous avons dit que la responsabilité existe toujours par rapport à autrui mais cela nous rend-il responsable d’actes commis par d’autres que nous ? Quelle est donc la nature du lien entre le sujet et autrui ? Va-t-il jusqu’à faire de l’autre le sujet de ma propre responsabilité ? N’est-ce pas alors me rendre étranger à moi-même et ainsi m’aliéner ? Quelle est l’étendue de notre responsabilité ? Peut-elle aller jusqu’à nous lier aux actes d’autrui ? Mais alors, cela ne remet-il pas en question la notion de sujet ? Faut-il penser que le sujet ne se réduit pas au sujet individuel ? Mais comment penser que je puisse répondre d’actes qui ne sont pas les miens ? N’est-ce pas dissoudre la notion de sujet, celle de responsabilité, celle de liberté et même celle d’action ?
L’enjeu (c’est-à-dire la conséquence de la question que nous venons de formuler) porte sur l’histoire et les citoyens d’un Etat donné. Ainsi les Allemands vivant dans l’Allemagne d’aujourd’hui doivent-ils se sentir responsables de ce qui s’est passé sous le régime nazi? Les Français doivent-ils se penser responsables de ce qui s’est passé pendant la guerre d’Algérie? Et si nous généralisons à l’ensemble des hommes, sommes-nous responsables des actions de tous les autres hommes? Etendre de cette façon la responsabilité, n’est-ce pas en réalité la détruire? A être responsable de tout, n’est-on pas responsable de rien?