3° artiste.
A)
Nous retrouvons pour le concept d’artiste, la même ambiguïté que celle que nous avons montrée dans l’analyse du « on ». Car on doit s’interroger sur le type de sujet qui serait susceptible de légitimer le qualificatif d’artiste. Suffit-il que quelqu’un se dise artiste pour qu’il le soit de fait ? Est-ce le sujet lui-même qui déclare qu’il pratique l’art qui est le seul être légitime pour se qualifier d’artiste ? Mais n’est-ce pas, comme nous l’avons dit, l’ensemble de ceux qui sont concernés par l’art (les spectateurs, les critiques, les institutions de toutes sortes etc.) qui peuvent accorder le statut d’artiste ? Et ces deux possibilités ne sont pas les seules : mais il est arrivé que et des individus qui affirment être des artistes et l’ensemble de ceux qui sont concernés par l’art à une époque se trompent lourdement dans leur appréciation. L’histoire de l’art est remplie d’écrivains, de poètes, de peintres, de musiciens qui ont perdu de façon définitive leur statut d’artiste. Il faut donc faire apparaître une troisième source possible d’attribution du titre d’artiste qui est le jugement esthétique, le jugement sur l’œuvre d’art. Et cela nous oblige à réfléchir sur l’essence de l’art ou (et c’est la même chose) sur les conditions de possibilité qui nous donnent cette essence de l’art. Si nous y parvenons, nous pourrions être en mesure de pouvoir qualifier d’artiste celui qui se rapporte de façon adéquate aux critères que nous trouverons.
B) Essence traditionnelle de l’art
On peut, pour trouver l’essence de l’art et d’une œuvre d’art, dégager 6 conditions de possibilité nécessaires et suffisantes.
1) une matière : l’œuvre d’art s’inscrit dans le sensible (ce sensible peut être de nature différente : couleurs, sons mais aussi mots)
2) une action (que l’on nomme production ou création) sur cette matière (trans-formation)
3) cette action est génératrice d’une forme (qu’on ne confondra pas avec un signe ou une image) qui doit être singulière (qui se reconnaît dans le style propre à chaque artiste) : l’artisan n’est pas un artiste car il ne crée pas un style en suivant des règles précises. L’artiste est qualifié de génie car capable de créer sans règle préalable (« Toujours, nous serons tentés de chercher à la forme un autre sens qu’elle même et de confondre la notion de forme avec celle d’image qui implique la représentation d’un objet et surtout avec celle de signe. Le signe signifie alors que la forme se signifie« . Henri Focillon)
4) cette singularité a, en droit, une valeur universelle (même si elle n’est pas toujours reconnue comme telle dans la réalité)
5) cette forme est belle (elle n’est pas vraie ou utile ou morale ou immorale etc.)
6) cette forme belle produit quand on la contemple une joie, mieux, un bonheur : le bonheur du sentir
Si l’on accepte cette définition traditionnelle de l’art, pourra être qualifié d’artiste celui qui remplit ces 6 conditions qui constituent l’essence de l’art. Peut être dit artiste le sujet qui est capable de produire ou créer dans une matière (mots, couleurs, sons, images) une forme singulière à valeur universelle (un style) que l’on qualifie de belle et qui procure à ceux qui la contemplent du bonheur (au sens fort de ce terme).
Et nous retrouvons le même problème (c’est la problématique tant recherchée !) que précédemment mais cette fois démultiplié car cette essence de l’art est aujourd’hui totalement remise en question, déconstruite. Certains déclarent ou sont déclarés par d’autres qu’ils font de l’art, qu’ils sont artistes, alors qu’ils ne produisent pas ce qu’ils présentent (exemple des ready made), qu’ils ne recherchent en rien les idées dépassées pour eux de beauté et de style, qu’ils ne peuvent espérer donner le bonheur à ceux qui regardent leurs installations. On voit ici apparaître une nouvelle signification de l’intitulé et plus précisément de la question du choix : si n’importe quelle pratique peut être qualifiée par son auteur d’artistique, c’est chacun qui décide d’être artiste parce qu’il décide que ce qu’il fait est de l’art !
On se retrouve devant le paradoxe suivant : sans essence de l’art, tout peut être art mais, inversement, s’il n’y a plus d’essence de l’art, rien ne peut l’être. Car s’il n’y a plus d’essence de l’art, on ne voit pas comment on pourrait qualifier (ou ne pas qualifier) d’artiste le pratiquant d’une activité que l’on ne peut pas définir. Si l’on connaît l’essence de la menuiserie, on peut qualifier l’artisan de menuisier mais si l’on était dans l’impossibilité de donner l’essence de cette activité, il nous serait impossible de qualifier l’activité de cette personne et de la différencier d’une autre.
De cela découle l’enjeu de ce devoir : rappelons que l’enjeu n’est pas le sujet mais la question qui est engagée par le sujet posé, sa conséquence. L’enjeu porte sur le statut de l’art, sur la question de l’existence ou non de son essence. Et c’est la réponse à cette question qui permettra de donner des significations différentes et pertinentes au sujet posé.