Conclusions générales (suite 4) :
Nos conseils ne portaient pas sur la structure de la dissertation (nombre de parties, introduction etc.) mais sur le contenu même de celle-ci pour essayer de faire comprendre ce qui est attendu par les correcteurs dans une dissertation de nature philosophique. Souvent, les élèves sont surpris d’entendre qu’ils n’ont pas lu le sujet ou que leur copie n’a pas les qualités philosophiques requises. Nous avons voulu leur montrer qu’il fallait adopter une certaine façon de viser le monde, ici un intitulé. Et le meilleur conseil qu’on puisse donner est de se rappeler la remarque de Socrate qui déclarait qu’il ne savait qu’une chose, c’est qu’il ne savait pas. Or l’angoisse d’un candidat, c’est de ne pas savoir puisque toutes les disciplines qu’on lui enseigne lui apportent un savoir dont il devra, lors du concours, faire la preuve de son acquisition ! Et en un sens, il semble en être de même en philosophie puisque l’étudiant doit apprendre des choses sur l’imagination, la société : on est d’ailleurs souvent étonné par la qualité et la finesse des savoirs de certains candidats. Mais très souvent on a un sentiment de gâchis quand on lit des pages sur le schème chez Kant ou autres subtilités qui ne sont pas strictement rapportées à la question posée : la récitation a pris le pas sur la réflexion critique adaptée à la question.
Il en est de la bonne dissertation comme de la tentative de définir Dieu ! Les philosophes ne pouvant donner les caractéristiques positives de Dieu en sont venus à tenter de le définir négativement, en énonçant ce qu’il n’est pas (ce que l’on nomme apophatisme) :
– ne jamais accepter comme allant de soi l’intitulé proposé
– ne jamais se dire que l’on comprend l’intitulé. Il ne peut pas y avoir de compréhension immédiate et pertinente d’un énoncé de dissertation philosophique !
– ne jamais se dire que ce sujet, « je l’ai déjà fait en cours d’année » : c’est le danger d’une non-lecture du sujet et d’un hors-sujet doublé d’une récitation. Tous les enseignants savent que, paradoxalement, pour une classe donnée, les notes moyennes obtenues sont supérieures pour un sujet qui déroute les candidats et les oblige à réfléchir par rapport à un sujet qu’ils ont « traité » au cours de l’année ! Dans le deuxième cas, l’élève ne pense qu’à une chose, à savoir, se souvenir du corrigé, et ne lit pas mais fantasme l’intitulé (richesse de l’imagination, pauvreté de la copie).
– ne pas croire que le jour du concours on pourra réciter son cours, aussi riche et profond qu’il soit. Certes, on pourra gagner quelques points par rapport à une copie médiocre mais on ne peut pas espérer, par la seule récitation de ses connaissances, obtenir la moyenne
– remplacer la définition d’un concept, la recherche de son essence par sa fonction, son utilité : ainsi au lieu de chercher à donner l’essence de l’image, sa caractéristique ontologique, nombre de candidats croient répondre à la question en énumérant des fonctions diverses
– enfin, cette fois sur le contenu même de la dissertation, on se méfiera du relativisme, du subjectivisme, devenus en une vingtaine d’année, les lieux communs d’une société qui oublie de penser. Ce conseil prend encore plus d’importance pour le thème de la société qui se prête aisément à toutes sortes de banalités et de préjugés de nature individualiste du type « chacun peut penser ce qu’il veut … », ou « Cela dépend des individus ou des époques ou des sociétés » ….
Et pour ceux qui préparent le thème de la société, nous proposons ce texte de Hobbes qui, pour donner les caractéristiques d’une société, décrit ce qu’elle n’est pas dans un état de nature hypothétique :
« De cette guerre de tout homme contre tout homme résulte aussi que rien ne peut être injuste. Les notions de bien et de mal, justice et injustice, n’ont pas leur place ici. Là où n’existe aucun pouvoir commun, il n’y a pas de loi. Là où n’existe pas de loi, il n’y a aucune injustice. La force et la ruse sont en temps de guerre les deux vertus cardinales. La justice et l’injustice ne sont aucunement des facultés du corps ou de l’esprit. Si elles l’étaient, elles pourraient se trouver en un homme qui serait seul dans le monde, aussi bien que ses sensations et ses passions. Ce sont des qualités relatives aux hommes en société, non dans la solitude. Il résulte aussi de ce même état qu’il ne s’y trouve pas de propriété, de domination, de distinction du mien et du tien, mais qu’il n’y a que ce que chaque homme peut obtenir, et aussi longtemps qu’il peut le conserver. Et en voilà assez pour la malheureux état où l’homme se trouve placé par simple nature, quoiqu’avec une possibilité d’en sortir, qui consiste en partie dans les passions, en partie dans sa raison. » Leviathan