(ce qui précède est ici)

Tenir compte de l’ensemble des concepts qui figurent dans l’intitulé !

Nous avons jusqu’à présent essayé de problématiser le sujet 2011 d’Ecricome, « Pauvreté des images, richesse de l’imagination ». Cette lecture socratique que chaque candidat doit accomplir s’il veut remplir les exigences de la dissertation, peut être faite de façon naïve par tout apprenti philosophe qu’il soit en première ou deuxième année et, paradoxalement, elle est plus aisée à accomplir par ceux qui sont encore en première année. Quelle en est la raison ? C’est la perte, par acquisition d’une masse de connaissances, de la naïveté, qualité socratique essentielle que le candidat doit manifester. Il ne faudrait pas en conclure qu’il faut se méfier de tout savoir car celui-ci permet de disposer d’arguments approfondis et surtout de comprendre rapidement quelles sont les questions qui sont superficielles, non-significatives pour un sujet et celles qui sont fondamentales.
Mais, pour le moment, revenons aux défauts d’un grand nombre de copies, dû à la perte de naïveté devant les intitulés. Durant l’année les candidats ont eu l’occasion d’apprendre des définitions de l’imagination et de l’image, de confronter la notion d’imagination avec des « gros » concepts comme ceux de raison, de vérité, de liberté etc. Et le réflexe trompeur consiste, en lisant le sujet, à vouloir, à tout prix, le transformer pour le réduire à des sujets et des notions déjà traités : c’est le défaut le plus fréquent. Or le « piège » du sujet d’Ecricome de cette année consistait à associer aux concepts d’image et d’imagination deux concepts « mous » qui avaient toutes les chances de ne pas avoir été traitées explicitement en cours. Et nombre de candidats ont oublié de voir que le mot image était associé à pauvreté et celui d’imagination à richesse. Du coup, on assiste à des exposés sur les différences entre image et imagination en négligeant totalement ou en donnant sans le justifier des significations superficielles aux concepts de pauvreté et de richesse.

L’intérêt pour ceux qui vont travailler sur le thème de la société est ici de prendre conscience du danger qui les guette quand ils affronteront l’an prochain le concours avec un thème, la société, beaucoup plus vague et insaisissable que celui d’imagination ! Parmi ceux qui donnent une signification sans réfléchir aux concepts de pauvreté ou de richesse, on trouve les lieux communs de plus en plus fréquents dans les copies sur lesquels nous reviendrons, à savoir, l’individualisme, le subjectivisme, le relativisme et l’utilitarisme : défauts que Platon reprochait déjà à Protagoras ! Pauvreté ou richesse de l’image dépendrait de chacun, des époques, de l’utilité que chacun en tire etc. Si l’on pouvait donner le conseil majeur aux candidats, c’est de s’interdire absolument d’adopter un tel point de vue qui, certes, pourrait être philosophiquement établi mais qui, chez les élèves, est toujours le signe d’une fatigue intellectuelle intense et d’une non-pensée. Plus prosaïquement, chaque fois que l’on a envie d’écrire « chacun … », il vaut mieux renoncer à poursuivre sa phrase !

Ajoutons cependant que pour le thème de la société il sera possible de fonder philosophiquement un individualisme radical comme celui que l’on trouve chez Max Stirner dans L’unique et sa propriété : « Le divin regarde Dieu, l’humain regarde l’Homme. Ma cause n’est ni divine ni humaine, ce n’est ni le vrai, ni le bon, ni le juste, ni le libre, c’est — le Mien; elle n’est pas générale, mais — unique, comme je suis unique. Rien n’est, pour Moi, au-dessus de Moi

Pauvreté ou richesse : les mots essentiels de la question ! Penser ses connaissances.

Il fallait donc se demander ce qui pouvait constituer la pauvreté ou la richesse des images ou de l’imagination. Mais très souvent cette question n’est pas prise au sérieux et la réponse la plus fréquente manifeste un glissement illogique dû aux connaissances acquises durant l’année. Dans les devoirs médiocres, se souvenant de la critique pascalienne, la pauvreté de l’image proviendrait du fait qu’elle est trompeuse, qu’elle est, comme l’imagination, maîtresse d’erreur et de fausseté. Cette erreur est très intéressante car elle est vraiment significative de l’élève de deuxième année qui récite sans penser le sujet qui lui est posé. Or il n’était pas difficile d’inverser ce « raisonnement » si l’on pense ses connaissances et si on ne se laisse pas penser par elles ! Car dire que l’image possède le pouvoir de nous tromper et, pire, en le faisant d’une façon aléatoire de telle sorte que nous ne soyons pas en mesure de savoir ce qu’il en est de la non-vérité ou de la vérité, montre non pas qu’elle est pauvre mais qu’elle est riche ! En d’autres termes, si l’on pose que la richesse de l’image et de l’imagination tient en grande partie au fait qu’elles ont le pouvoir d’agir sur l’esprit des hommes, le fait qu’elles soient maîtresses d’erreur et de fausseté révèlent leur richesse et non leur pauvreté ! Ce qui, durant l’année scolaire, à propos d’un cours ou d’une dissertation, peut être présenté comme un défaut, à savoir l’image comme tromperie, peut être signe de richesse, de puissance dans l’intitulé du concours ! Bref, faute de tenir compte de la totalité de l’intitulé, c’est à contre-sens que la plupart des candidats ont interprété le rapport pauvreté des images et capacité de nous leurrer !
Ne pas se laisser penser par son savoir est l’impératif premier du candidat au concours ! Ce qui revient à dire qu’il ne faut jamais considérer qu’on a déjà fait ce sujet en cours d’année : il faut garder sa naïveté première et toujours s’étonner et ne pas se laisser gagner par l’angoisse du concours qui nous pousse à ramener le sujet, en le faussant, à ce que l’on sait ! Il faut penser son savoir en fonction de l’intitulé et non pas transformer inconsciemment l’intitulé pour qu’il « colle » à son savoir.

(la suite est ici)