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1° Une œuvre d’art a-t-elle toujours un sens ?

Un sujet classique qui ne pose pas de problème si l’on prend la peine de déployer toutes les conditions de possibilité à la fois de l’œuvre d’art et de la notion de sens. Et pour l’introduction, il est possible de partir de l’opinion commune qui se promenant dans les nouvelles galeries d’art et en présence de ce que l’on nomme installation s’étonne sur ce que cela peut signifier et qui se penche sur une brochure écrite par l’artiste et qui lui donne son sens …On pourrait voir aussi ce que certains « artistes » exposés chaque année au château de Versailles « font » et « disent » de leur « œuvre ».

On peut, pour trouver l’essence de l’art et d’une œuvre d’art, dégager 6 conditions de possibilité nécessaires et suffisantes.
1) une matière : l’œuvre d’art s’inscrit dans le sensible (ce sensible peut être de nature différente : couleurs, sons mais aussi mots)
2) une action (que l’on nomme production ou création) sur cette matière (trans-formation)
3) cette action est génératrice d’une forme (qu’on ne confondra pas avec un signe ou une image) qui doit être singulière (qui se reconnaît dans le style propre à chaque artiste) : l’artisan n’est pas un artiste car il ne crée pas un style en suivant des règles précises. L’artiste est qualifié de génie car capable de créer sans règle préalable (« Toujours, nous serons tentés de chercher à la forme un autre sens qu’elle même et de confondre la notion de forme avec celle d’image qui implique la représentation d’un objet et surtout avec celle de signe. Le signe signifie alors que la forme se signifie« . Henri Focillon)
4) cette singularité a, en droit, une valeur universelle (même si elle n’est pas toujours reconnue comme telle dans la réalité)
5) cette forme est belle (elle n’est pas vraie ou utile ou morale ou immorale etc.)
6) cette forme belle produit quand on la contemple une joie, mieux, un bonheur : le bonheur du sentir
La sixième condition de possibilité le sentir nous invite à analyser le concept de sens.

Et on doit demander en quel sens faut-il prendre le « en quel sens » de l’intitulé ! Car le mot sens a au moins trois grandes directions de sens :
– il peut renvoyer au sentir, à ce qui est de l’ordre du sensible de la sensibilité ;
– il peut renvoyer à la direction comme dans l’expression sens interdit ;
– il peut enfin renvoyer à la signification. On retrouve tout cela dans cette phrase de Claudel « Le temps est le sens de la vie (sens : comme on dit le sens d’un cours d’eau, le sens d’une phrase, le sens d’une étoffe, le sens de l’odorat » Art poétique. Et cette analyse des trois directions de sens du mot sens auraient pu servir de structure du devoir pour éviter une simple accumulation d’éléments. qui a .. plusieurs sens :

Pour ce devoir, il suffit de partir des sens 2 et 3 du mot sens pour finir par l’idée que l’œuvre d’art est art non pas par la direction qu’elle indique ou sa signification mais parce qu’elle est de l’ordre du sentir : une œuvre d’art n’a pas à être comprise ; elle a à être sentie. Elle n’est pas faite de signes qui renvoient à autre chose qu’eux-mêmes mais de formes qui ne renvoient qu’à elles-mêmes : « le signe signifie alors que la forme se signifie ». Nous avons longuement développé ceci ici . Cela permet de dire qu’une œuvre d’art si elle est véritablement œuvre d’art peut avoir perdu pour ceux qui la regardent la signification qu’elle avait pour ses contemporains (on peut ignorer la signification religieuse précise de telle cantate de Bach ou d’un tableau religieux ou des fresques de Michel-Ange) mais elle provoque toujours le bonheur du sentir : elle ne peut perdre de sens comme sentir.

2° La politique échappe-t-elle à l’exigence de vérité ?

Ici on a à faire à deux notions qui appartiennent à deux domaines différents : la politique est de l’ordre de l’action alors que la vérité est de l’ordre de la connaissance, d’ordre épistémologique. Les nécessités de l’efficacité en politique doivent-elles se soumettre à un impératif axiologique (choix de valeur) qui serait non pas la morale mais la vérité. Bien entendu , on ne peut répondre à la question tant qu’on n’a pas défini la vérité mais indiquons qu’il existe une conception de la vérité, le pragmatisme, qui caractérise la vérité par son efficacité et qui pourrait, par cette définition (contestable) concilier sans difficulté action politique et exigence de la vérité.

Mais la question de la nature de la vérité en politique devrait être questionnée ? Quand on perle de vérité en mathématique ou en science physique, ce même concept a-t-il le même sens en politique ? Peut-on définir la vérité ? Ne faut-il pas parler de vérités? En politique, on doit choisir des valeurs mais les valeurs relèvent-elles de la vérité?

Il serait possible de montrer que souvent la politique a besoin de sortir de l’exigence de la vérité pour des raisons d’efficacité. Que dirait-on d’un chef d’État qui annoncerait, si on lui pose la question, qu’il va procéder à une dévaluation de la monnaie ou à une arrestation de terroristes alors que ne pas dire la vérité est exigée par la résolution dans de bonnes conditions de cette action? Il y a ce que l’on nomme une raison d’État qui justifie parfois l’abandon de la vérité et parfois même le mensonge.

Et cela s’applique à la parole politique qui, comme le montre Platon à propos des Sophistes, est capable de l’emporter par un usage habile de la rhétorique et non pas par un discours de vérité. Ne peut-on pas penser que dans les démocraties la plupart des élus ne l’auraient point été s’ils avaient dit la vérité, notamment qu’ils ne pourraient jamais réaliser les promesses faites lors de leur campagne électorale?

Bref, ce n’est pas l’exigence de vérité qui doit être au centre des valeurs politiques; toutes les valeurs ne sont pas réalisables simultanément  et il faut faire des choix entre la liberté, l’égalité, la fraternité, l’unité du corps social, la justice, la vérité.

Cependant, violer la valeur de vérité au sein de la vie politique, c’est, en dernier lieu, détruire la confiance que les hommes doivent avoir pour qu’il y ait une véritable société. La démocratie ne peut être effective que si les citoyens exercent leur raison et leur faculté critique.

Mais la vérité en politique n’est pas de même nature que la vérité dont on parle en science. Le mot vérité prend ici un sens métaphorique car la vérité d’une valeur comme celle de vérité ou de liberté ne se démontre pas comme un théorème. Il s’agit d’une vérité existentielle, d’une vérité qui est posée comme donnant sens à l’existence d’une communauté.

3° Expliquez le texte suivant
Comment peut-on prévoir un événement dépourvu de toute cause ou de tout indice qui explique qu’il se produira ? Les éclipses du soleil et de la lune sont annoncées avec beaucoup d’années d’anticipation par ceux qui étudient à l’aide de calculs les mouvements des astres. De fait, ils annoncent ce que la loi naturelle réalisera. Du mouvement invariable de la lune, ils déduisent à quel moment la lune, à l’opposé du soleil, entre dans l’ombre de la terre, qui est un cône de ténèbres, de telle sorte qu’elle s’obscurcit nécessairement. Ils savent aussi quand la même lune en passant sous le soleil et en s’intercalant entre lui et la terre, cache la lumière du soleil à nos yeux, et dans quel signe chaque planète se trouvera à tout moment, quels seront le lever ou le coucher journaliers des différentes constellations. Tu vois quels sont les raisonnements effectués par ceux qui prédisent ces événements.
Ceux qui prédisent la découverte d’un trésor ou l’arrivée d’un héritage, sur quel indice se fondent-ils ? Ou bien, dans quelle loi naturelle se trouve-t-il que cela arrivera ? Et si ces fais et ceux du même genre sont soumis à pareille nécessité, quel est l’événement dont il faudra admettre qu’il arrive par accident ou par pur hasard ? En effet, rien n’est à ce point contraire à la régularité rationnelle que le hasard, au point que même un dieu ne possède pas à mes yeux le privilège de savoir ce qui se produira par hasard ou par accident. Car s’il le sait, l’événement arrivera certainement ; mais s’il se produit certainement, il n’y a plus de hasard ; or le hasard existe : par conséquent, il n’y a pas de prévision d’événements fortuits.
Cicéron, De la divination, 1″ siècle avant J.-C.
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Quelles sont les notions et les questions et notions présentes ici ? Il s’agit de déterminisme, de hasard, de nécessité, de prévision, de raison.Ceux qui avaient lu le corrigé que nous venions de mettre ici d’un texte d’Alain (Liban 2015) avaient tous les éléments pour traiter ce texte.

Comment une prévision est-elle possible ? Peut-on confondre (même si malheureusement c’est le cas dans cette traduction!) prévision et prédiction ? La notion de hasard remet-elle en question la possibilité de prévoir, donc d’avoir une connaissance rationnelle et scientifique de la nature?

Il y a une prévision rationnelle quand, connaissant les causes, je puis en déduire les effets. Cela permet d’établir des lois (des liens) nécessaires entre une certaine quantité de cause et une certaine quantité d’effet. Cela suppose que l’on accepte la validité du principe de causalité [rien n’interdirait, une fois l’explication proprement dite effectuée, de remettre en question avec Hume et les empiristes la vérité d’un tel principe. Ce qui est posé par Cicéron comme rationnel serait alors remis en question]

Il y a une prédiction (deuxième &) quand on ne connaît pas les causes qui peuvent produire tel événement. Et Cicéron parle alors d’invocation de hasard mais a-t-il raison ? N’a-t-il pas une conception irrationnelle du hasard ? [Pour ceux qui ont vu les doctrines des stoïciens (destin) et des épicuriens (hasard), ne pourrait-on pas trouver ici une critique de la conception épicurienne de la nature ? Faire appel à la notion de hasard ruine-t-elle toute rationalité dans l’explication et la compréhension de la nature?]

Même si l’étudiant de la série S ne connaît pas la pensée des stoïciens et d’Epicure, il sait, à propos des tremblements de terre récents du Tibet que l’on savait que les mouvements des plaques tectoniques ne pouvaient pas ne pas entraîner un tremblement de terre à un moment donné. Mais on ne peut pas prévoir (et non prédire) le moment précis du déclenchement de ce tremblement. On parle de hasard mais, contrairement, à ce que l’on pourrait objecter à ceux qui parlent de hasard, ce concept ne signifie pas que c’est « un événement dépourvu de toute cause ».  Si c’était le cas, on serait dans l’irrationalité de la nature la plus totale. En apparence « rien n’est plus contraire à la régularité rationnelle que le hasard » mais contrairement à ce que dit ici Cicéron, critique des épicuriens qui font du hasard un principe explicatif de la diversité de la nature, il existe une régularité rationnelle dans le hasard, et tous les élèves de S qui font des probabilités le savent, il existe des lois du hasard : voir le tirage d’une pièce de monnaie sur des milliers de fois : on connaît rationnellement le résultat final, même si on ne peut pas dire le résultat que l’on obtient à chaque tirage singulier. Et qui dit loi dit régularité, enchainement déterminé entre plusieurs phénomènes. Le fait que l’homme ne soit pas en mesure de (pré) dire le moment singulier d’un tremblement de terre n’exclut ni rationalité de la nature ni même … une prévision (certes large, de l’ordre de la probabilité) mais une prévision tout de même de cet événement. Nous savons que le hasard n’exclut pas la rationalité des phénomènes et que seuls les gens de mauvaise foi veulent ignorer que les prévisions de la météorologie relèvent du domaine de la probabilité.

On peut compléter ses connaissances avec l’explication de ce texte de Cournot qui portait sur l’histoire mais qui avait le même enjeu que le texte de Cicéron : la rationalité de ce qui arrive ou de ce qui a eu lieu.

 

Texte de Cournot sur l’histoire.

« S’il n’y a pas d’histoire proprement dite, là où tous les événements dérivent nécessairement et régulièrement les uns des autres, en vertu des lois constantes par lesquelles le système est régi (…) Il n’y a pas non plus d’histoire, dans le vrai sens du mot pour une suite d’événements qui seraient sans aucune liaison entre eux. Ainsi les registres d’une loterie publique pourraient offrir une succession de coups singuliers, quelquefois piquants pour la curiosité mais ne constitueraient pas une histoire: car les coups se succèdent sur ceux qui les suivent (…)

Au contraire, à un jeu comme celui du trictrac, où chaque coup de dé, amené par des circonstances fortuites, influe néanmoins sur les résultats des coups suivants ; et à plus forte raison au jeu d’échecs, où la détermination réfléchie du joueur, se croisant avec celles de l’adversaire, donnent lieu à une multitude de rencontres accidentelles, on voit poindre les conditions d’un enchaînement historique. Le récit d’une partie de trictrac ou d’échecs, si l’on s’avisait d’en transmettre le souvenir à la postérité, serait une histoire tout comme une autre qui aurait ses crises et des dénouements. »

COURNOT

Dans ce texte de Cournot on remarquera l’opposition entre deux thèses contradictoires qui sont, toutes deux, insuffisantes dans la mesure où elles ne sont pas en mesure de rendre compte de la nature même de l’histoire.
La première consiste à poser l’existence d’un déterminisme strict, d’une nécessité qui relierait l’ensemble des événements qui se produisent dans l’histoire. Quelle en serait la conséquence? Cournot peut dire qu’il n’y aurait plus alors d’histoire car on aurait alors détruit l’un de ses éléments constitutifs, à savoir, le temps lui-même. En effet, si l’on était capable de calculer à un moment donné, l’ensemble des forces qui s’exercent dans l’univers, on pourrait tout aussi bien connaître l’avenir et le passé; cela aboutirait à une négation du temps et donc de l’histoire.
Telle est la conception que l’on trouve chez le physicien du XIXe Laplace. Prenant modèle sur les enseignements de l’astronomie, il imagine l’existence d’une intelligence qui, informée de l’état de toutes les forces s’exerçant dans l’univers à un moment donné ainsi que de toutes les lois qui en régissent les phénomènes, «embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome»: une telle intelligence posséderait une connaissance complète, c’est-à-dire capable de couvrir aussi bien les phénomènes futurs que les faits passés ou présents. «Rien, ajoute-t-il, ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux». Il n’y aurait plus de temps, plus d’histoire.
C’est ainsi que dans la physique classique (mais pas la thermodynamique) évacue la notion d’histoire ainsi que la notion de temps dans la mesure où l’on essaie de montrer qu’il y a un rapport nécessaire entre une certaine cause et certains effets. On appelle d’ailleurs loi ce qui unit nécessairement une certaine quantité de cause et une certaine quantité d’effet. Si l’histoire se présentait de cette façon, ce serait l’abolition du temps et en même temps de l’histoire. Il faut donc poser l’existence d’une certaine contingence pour que la notion d’histoire puisse avoir un sens.
Mais Cournot envisage une deuxième hypothèse qui est à l’opposé de la première. S’il n’y a pas de déterminisme strict, ne peut-on pas alors dire que l’histoire n’est qu’une suite d’événements au sens fort du terme? Un événement c’est ce qui est singulier, unique, ce qui ne peut être expliqué par des causes antécédentes. Or si l’histoire n’était constituée que d’éléments singuliers, uniques, sans lien de causalité avec ce qui précède, nous ne pourrions plus rien comprendre dans son cours; ce qui arriverait serait véritablement sans lien, sans logique, sans raison. Telle est bien la situation dans laquelle nous nous trouvons dans le jeu de hasard. En effet, contrairement à l’opinion commune, entre deux tirages du loto, il n’existe aucune mémoire, aucune suite ; chaque tirage est nouveau, singulier, sans mémoire, donc sans histoire. Il n’y a donc pas, en toute rigueur, d’histoire du loto, ou plus exactement, d’histoire des tirages du loto. Contrairement au joueur qui pense que l’on peut mettre en place des martingales, les tirages véritablement aléatoires du loto font qu’il n’est pas possible de mettre en évidence des lois régissant les tirages successifs de ce jeu : le fait qu’un numéro soit sorti très souvent au cours des tirages précédents ne rend pas pour autant plus improbable sa sortie au tirage suivant. Dans les tirages du loto, on ne trouve que de simples successions mais pas de véritables enchaînements. Dans une succession, nous avons l’apparition de deux ou de plusieurs phénomènes qui n’ont aucun lien, aucun rapport de causalité entre eux. Par conséquent l’histoire ne peut pas être la simple collection d’événements ponctuels.
En bref, trop de liens tuent l’histoire. Mais, inversement, pas de liens aboutit à la même conséquence.
Cependant tous les jeux ne correspondent pas à des jeux de hasard. Cournot donne l’exemple d’autres jeux comme celui des échecs dans lesquels ont pourrait parler d’une histoire véritable dans la mesure où il existe une raison dans l’enchaînement des coups successifs qui sont effectués au cours d’une partie. Le résultat final de la partie d’échec dépend strictement des coups qui ont été joués auparavant et qui engagent les positions présentes sur l’échiquier. Le point commun entre le jeu d’échec et l’histoire, réside dans le fait qu’il existe un enchaînement entre ce qui est passé, le présent et l’avenir. Ceci permet de comprendre pourquoi les joueurs d’échec, en fin de partie, ont l’habitude de revenir sur la partie jouée pour la commenter. Cela serait inutile et sans raison, si la partie jouée était de même nature que le tirage du loto. Ainsi dans un jeu d’échecs comme dans l’histoire il y a un enchaînement rationnel de coups ou d’événements.
Cependant on remarquera que l’enchaînement rationnel que nous trouvons aussi bien dans l’histoire que dans le jeu d’échecs n’aboutit jamais à la nécessité conditionnelle que nous trouvons dans le domaine de la physique ou des sciences expérimentales : si j’ai telle quantité de causes, je ne peux pas ne pas avoir telle quantité d’effets. En effet Cournot note fort bien qu’il demeure toujours une part de contingence, en entendant par là ce qui peut ne pas être. Dans la partie d’échec aussi bien que dans l’histoire il existe une part de hasard qui fait que ce qui se produit, ce qui arrive, n’était pas totalement inclus dans la situation de départ. En astronomie, si l’on connaît la position de départ d’une planète ou plus justement d’un système, on peut prévoir l’évolution exacte de ce système dans l’avenir aussi bien dans le passé. Alors que dans l’histoire, même si je connais parfaitement une situation donnée, il n’est pas possible de dire quelles seront les évolutions futures du système considéré. Telle est la part de la contingence, du hasard, de l’événement.

Pour conclure on peut donc dire que ce texte de Cournot nous invite à éviter deux erreurs symétriques par rapport à l’histoire. Dans la première, je mets l’accent sur les liaisons, sur le déterminisme, les enchaînements rigoureux que l’on trouve dans l’histoire; si je ne mets en évidence que cela, je perds la notion d’histoire. Mais inversement, si je mets l’accent sur la contingence de l’histoire, je ne suis plus en mesure de comprendre véritablement ce qui se passe. Car celle-ci devient pure contingence sans aucune raison, sans aucun fondement. L’histoire est donc ce qui possède une raison mais cette raison n’est pas donnée d’avance car l’histoire est la rencontre de déterminismes et de ce que l’on peut nommer le hasard ou la contingence.

Revenons à l’intitulé du sujet, « L’histoire ne serait-elle qu’une suite d’événements? » et voyons les concepts essentiels : Nous savons désormais quelles sont les conditions de possibilité de l’histoire et surtout celles de la notion d’événement et la signification de l’expression « suite d’événements ».

Que faut-il pour qu’il y ait histoire ? :

un changement. Ce critère est important car dans les cultures que l’ont dit être « sans histoire », on pense que derrière les changements, il y a un éternel retour des choses. Si les changements ne sont qu’une apparence, la notion d’histoire et d’historicité ne peuvent pas avoir de signification. Cependant il ne suffit pas qu’il y ait des changements pour qu’il y ait histoire. Dans la nature, il se produit des changements continuels et pourtant il ne s’agit pas d’histoire au sens fort du terme.

une conscience de ce changement. C’est la conscience qui est capable d’instaurer le temps et de poser, par rapport à un présent, ce qui a changé comme étant ce qui est passé. – cette conscience du changement est dirigée essentiellement vers le passé.

Que faut-il pour qu’il y ait événement au sens fort ? Quatre conditions soient remplies :

l’idée de quelque chose de nouveau qui vient briser l’ordre habituel des choses

l’idée que ce qui surgit est unique, singulier

l’idée, du coup, qu’il est difficilement prévisible car s’il l’était, il perdrait sa qualité d’événement

l’idée qu’il ne semble pas avoir d’existence localisé stable. Il n’a pas d’existence précise, il est nulle part.

La problématique naît toute seule de ce que l’on vient d’énoncer : si l’événement est ce qu’il y a de singulier, d’unique, d’imprévisible, l’histoire ne serait-elle que l’enregistrement sans logique, sans lien, sans raison de ce qui arrive dans le temps? La notion de temps qui suppose une continuité dans la conscience d’un passé, d’un présent et d’un avenir ne perdrait-elle pas tout son sens? On voit que la question engage celle de la rationalité de l’histoire (pas de l’historien, pitié pour lui!) mais avec une antinomie bien exprimée par Cournot : trop de liens de causalité entre le passé et l’événement qui se produit détruisent l’événement, mais des événements qui surgiraient sans raison détruiraient toute histoire. On saisit pourquoi l’intitulé a été mis au conditionnel ; il oblige le candidat vigilant à essayer d’apercevoir toute la complexité du statut de l’histoire.