(voir ici ce qui précède)

La lecture de l’énoncé.

Arrivés, en fin d’année, saturé de savoirs, peu de candidats prendront la peine de définir le plaisir ou, mieux, d’en dégager les conditions de possibilité. Or, ce n’est qu’en dégageant toutes les conditions de possibilité du plaisir (c’est-à-dire l’essence qui fait que le plaisir est plaisir et non pas joie ou bonheur), que l’on peut véritablement affronter la singularité de l’intitulé (au passage, notons que tous les candidats qui vont se jeter, avec l’aide ici pertinente de Kant, dans des développements sur la possibilité d’un partage universel du plaisir esthétique pourraient, à un moment donné de leur devoir, montrer qu’il ne s’agit pas , dans l’expérience esthétique, de plaisir mais, au sens strict, de … bonheur !). Nous ne le ferons pas ici mais nous voudrions seulement faire une lecture nécessaire de l’intitulé en montrant son ambiguïté et c’est ici que l’on juge les copies ! (Rappelons que tous les rapports de concours rappellent chaque année cette exigence : « D’une part, l’analyse conceptuelle est très souvent négligée … la réflexion personnelle est très souvent absente, ou elle est beaucoup trop pauvre; les copies originales, au sens propre du terme, sont rares. Les candidats ne doivent pas avoir peur des contradictions, des apories, des sujets qui fâchent en général. Ils doivent au contraire s’y confronter, les assumer, les vivre s’il le faut, prendre du plaisir à identifier les problèmes autant qu’à les résoudre. » Rapport E.M. Lyon 2012).

Lire et relire l’énoncé …

Or, si on lit l’intitulé attentivement, on s’aperçoit que la même phrase peut permettre deux lectures bien différentes : la première, qui sera évidente pour la quasi-totalité des candidats (et à coup sûr, pour le concepteur du sujet!), consiste à se demander s’il est possible de faire participer autrui à son propre plaisir (on peut penser que pour la correction, on se contentera de cette seule lecture) ; la seconde, moins évidente et même peut-être idiote, consisterait à faire du plaisir le véritable sujet de l’intitulé que l’on pourrait interpréter ainsi : est-il possible, le partage s’effectuant au cœur même du plaisir, que la nature même du plaisir permette de distinguer en lui des parties donc des différences qui entraîneraient un processus de dissociation ? L’unité de l’expérience du plaisir est-elle totalement homogène, purement immanente, ou existe-t-il des différences au sein de son unité ? Et, c’est le sujet peu intéressant car beaucoup trop limité,tombé à l’E.M. Lyon cette année, qui oblige à se demander s’il y a une unité du plaisir. Si cette deuxième lecture de l’énoncé est possible, il faut alors se demander si elle est signifiante, c’est-à-dire si elle a un intérêt philosophique et même si elle n’est pas tout simplement absurde ! (Rappelons que c’est cette interrogation devant l’intitulé qui constitue la qualité exigée du candidat : et même s’il est évident que ce n’est pas la signification essentielle de l’intitulé, c’est la qualité de questionnement qui est appréciée dans une dissertation philosophique). Or, il nous semble que cette lecture ne doit pas être exclue a priori car elle oblige à faire une ontologie du plaisir ; en d’autres termes, alors que la première lecture (suffisante, nous le rappelons, pour le concours) met l’accent sur la communicabilité, l’intersubjectivité possible ou non de l’expérience du plaisir, la seconde oblige à réfléchir sur l’être même du plaisir : s’agit-il d’une expérience parfaitement homogène dans laquelle le sujet vit un état pleinement positif, un présent qui ne soit que présent, sans en-deçà ni au-delà, sans altération ni division possible en son sein ? ? Derrière le caractère apparemment fusionnel du plaisir dans lequel je coïncide de tout mon être avec la situation positive que je vis, n’y a-t-il pas, par la présence irréductible de la conscience, une séparation, un partage au coeur même de l’expérience de tout plaisir ? Et les deux lectures de l’intitulé peuvent se rejoindre dans l’interrogation suivante : s’il n’y a de plaisir que dans l’unité indissociable d’un instant présent vécu positivement, comment pourrait-il garder son essence s’il devait, en se transmettant, perdre son unité constitutive en s’ouvrant à un autre ? Quel est donc l’être du plaisir : on ne pourra pas répondre adéquatement à ce sujet si l’on ne part pas d’une ontologie du plaisir?

(à suivre ici)