2° La comparaison à l’autre comme fin du plaisir ?

(épisode précédent)

La seconde raison avancée par Daniel Cohen pour rendre compte de la déception ressentie par ceux qui attendaient bonheur-plaisir de l’amélioration de leur condition de vie, porte sur le rapport à autrui, plus précisément, la comparaison aux autres. « Chacun veut réussir relativement à ceux auxquels il se compare. Une course-poursuite est alors engagée, sans que personne n’en maîtrise la logique. Je veux être plus riche que mes voisins et ceux-ci veulent l’être aussi, et au final la course est vaine. La poursuite du bonheur est totalement inefficace, si l’on veut utiliser ce langage ». En ce cas, ce ne serait pas la valeur absolue des biens obtenus qui serait susceptible de nous apporter le bonheur-plaisir mais ce que l’on pourrait nommer leur qualité différentielle. C’est ce que l’autre n’a pas et que je possède qui produirait le plaisir-bonheur : pour ne donner qu’un exemple superficiel mais significatif de ce phénomène, il n’y a qu’à voir la satisfaction des premiers possesseurs d’un nouveau téléphone d’une marque, bien connue pour transformer les pommes en poires consentantes et satisfaites. Ce n’est pas la qualité objective de ce, soi-disant nouvel et révolutionnaire objet technique, qui produit le plaisir, mais le fait, à la fois de faire partie d’une secte au sens étymologique du terme (secare, couper : coupure captive volontairement recherchée par Apple qui enferme dans un système informatique clos sur lui-même et qui produit chez ses adeptes un plaisir semblable à celui des compagnons d’Ulysse jouissant de leur consommation dans l’antre du Cyclope, en oubliant leur statut de prisonnier), et à la fois de montrer aux autres un objet qu’ils n’ont pas encore.

Et il n’est pas exact de dire que « cette poursuite du bonheur (comprenons en fait plaisir) est inefficace » car c’est en fait, au contraire, la raison de l’efficacité et du dynamisme du capitalisme sur le comportement des hommes. C’est précisément cette course-poursuite qui produit du plaisir constamment renouvelé pour les consommateurs que nous sommes. Et si ce n’était pas le cas, on ne voit pas pourquoi nos contemporains se précipiteraient avec tant de plaisir sur smartphones, tablettes et autres productions indéfinies de la production capitaliste…

Nous voyons à nouveau pourquoi, il est essentiel de ne pas confondre plaisir et bonheur. Et il nous faut approfondir ce rapport à l’autre dans la consommation et se demander si notre économiste a trouvé les raisons essentielles de notre déception. Peut-on parler du plaisir-bonheur en économie en faisant l’impasse d’une réflexion sur l’essence de l’homme, sur une anthropologie ? Peut-on accepter, sans la questionner, l’idée de besoin chez l’homme ? L’homme est-il un être de besoin ou de désir ? Pourquoi les plaisirs obtenus dans la consommation seraient-ils toujours décevants ? De quoi le désir est-il manque ?

(à suivre ici)