Thème de culture générale 2017-2018 des prépas HEC : Le corps.

Le thème de culture générale des classes préparatoires HEC vient d’être publié : il s’agit du corps. Nous mettrons sur ce site une problématisation de cette notion en mettant l’accent sur une anthropologie du corps. (voir ici par exemple) . 

Nous avons mis en ligne ici quelques analyses du corps en lien avec le sport et la façon dont les athlètes de haut niveau se rapportaient à leur propre corps. Quel rapport se met en place entre leur corps et leur esprit : ont-ils un corps ? Sont-ils leur corps ?

Ceux qui envisagent de faire une deuxième année peuvent penser que passer de la parole (souffle évanescent), au corps (élément matériel résistant), les fera totalement changer  d’univers mental. Et pourtant, il encore temps pour ceux qui voudraient voir leur corps quitter définitivement le lieu par excellence de l’exercice de la parole, à savoir les classes préparatoires, de ne pas oublier le lien intrinsèque qui existe entre parole et corps. Certes, il existe aujourd’hui des machines qui parlent de mieux en mieux, mais tous ceux qui s’apprêtent à passer leur concours sur le thème de la parole, savent que l’émission de sons, même adaptée à la situation donnée, ne suffit pas pour dire qu’il s’agit d’une parole au sens rigoureux du terme. Mais on pourrait nous objecter que parler au téléphone à l’aide d’un dispositif technique, machinique, constitue bien un acte authentique de parole sans que le corps des deux interlocuteurs soient présents.

A cela on répondra que, même au téléphone, les deux interlocuteurs sont présents par leur corps à travers la singularité de leur mode d’expression et leur timbre de voix singulier. Il n’y a de parole authentique que lorsque les locuteurs sont présents dans leur corps. Il ne s’agit pas du corps physiologique perçu : un candidat à l’élection présidentielle, qui s’empare du φ du philosophe tout en étant, en réalité, le  digne successeur des sophistes et des rhéteurs, croit nécessaire de montrer son corps par hologramme ; c’est reconnaître que sa voix ne suffit pas pour manifester une présence effective et que son discours a besoin de s’appuyer sur une image. Faut-il alors suivre Bergson dans sa critique du langage qui, selon lui, nous séparerait du monde et du réel ? Seule « l’image, si elle ne cherche qu’à suggérer, peut nous donner la vison directe ». Mais qu’est-ce qu’une parole politique qui n’en resterait qu’à une image saisie dans l’immédiat et qui ne passerait pas par la médiation de la raison et de l’argumentation effective ? La parole sophistique n’est pas une parole mais son aliénation.

La parole est chair, incarnation.

La parole, au sens fort, est manifestation d’une présence singulière de celui qui s’exprime dans et par son corps : elle est chair, comme l’écrit Merleau-Ponty : « On a toujours remarqué que le geste ou la parole, transfiguraient le corps, mais on se contentait de dire qu’ils développaient ou manifestaient une autre puissance, pensée ou âme. On ne voyait pas que, pour pouvoir l’exprimer, le corps doit en dernière analyse devenir la pensée ou l’intention qu’il nous signifie. » (« Phénoménologie de la perception » p. 230). Parole et corps sont intimement mêlés. On peut même dire que la parole est l’une des modalités essentielles de notre incarnation qui est l’acte par lequel ce qui n’était pas chair devient chair, ou ce qui était pur esprit prend un corps. Et c’est précisément la raison pour laquelle les mystiques qui vivent notre incarnation comme une séparation de l’homme et de Dieu, comme un perte de notre perfection originaire, critiquent la parole comme ce qui accentue cette séparation ontologique entre les mots et la foi. C’est pourquoi, inversement, dans le monde intelligible la parole et les corps n’ont plus leur place: « là-haut,écrit Plotin, tout corps est pur, chacun est comme un œil; rien de caché ni de simulé ; en voyant quelqu’un, on connaît sa pensée avant qu’il ait parlé. » Parole et corps, fruits de notre incarnation, participent de cette déchéance commune dans le monde sensible, celui de la condition humaine.

Et l’on pourra déjà commencer à analyser la notion de corps en lisant la problématisation suivante à partir du sujet : Mon corps fait-il un obstacle à ma liberté ?

Mais il est temps, pour le moment, de se taire et de laisser la parole aux candidats … en espérant que leur parole ne rencontre pas des obstacles insurmontables qui les condamneraient au silence ….

Le personnage sculpté ici sur un chapiteau d’une église romane se nomme Sucellos, dieu de la mythologie celte qui, armé d’un maillet fait passer de la mort à la vie et de la vie à la mort. Les serpents qui sortent de sa bouche renvoient à la parole mais pas à celle du Dieu créateur mais à celle de l’homme de la chute qui a suivi les mots murmurés par le serpent-diable.