La liberté peut-elle être un fardeau ?
Beaucoup d’élèves avant d’affronter l’épreuve de la dissertation, estiment qu’ils ne savent pas assez de choses et essaient d’ingurgiter ce qu’ils n’ont pas pu apprendre durant l’année. Nous voudrions montrer que cela n’est pas nécessaire en leur donnant la méthode qui leur permet, sans aucune connaissance précise, d’obtenir la moyenne : on ne leur demande pas du savoir (même si celui-ci est nécessaire pour enrichir la démonstration) mais d’interroger, de problématiser. Nous conseillons de relire d’abord ce qui se trouve ici
Chercher un paradoxe qui permet un début de problématisation.
Dans tout intitulé, il faut tenter de trouver un paradoxe qui permet de mettre en place une interrogation, seule qualité nécessaire pour faire une dissertation de philosophie. Il n’est pas difficile ici de l’énoncer (encore faut-il penser à chercher ce paradoxe !) : comment ce qui nous libère du poids des déterminismes, à savoir la liberté, pourrait, en même temps, nous alourdir en pesant sur notre être ? Cela tient-il à l’être même de la liberté ou aux rapports que la liberté entretient avec d’autres dimensions de notre existence ? En d’autres termes, ce ne serait pas la liberté qui, dans son essence, comporterait la contradiction d’une libération contraignante mais le fait que la liberté entrerait en contradiction avec d’autres valeurs de notre existence. Mais alors, quelles sont les autres valeurs qui feraient que la liberté nous pèse ?
Comme toujours, il faut poser les conditions nécessaires et suffisantes pour qu’il y ait liberté pour chercher simplement an quoi elles pourraient s’opposer ou au contraire se rapprocher de l’idée de fardeau.
Attention à l’erreur permanente concernant la liberté :
On confond généralement les différentes conceptions de la liberté (la liberté comme libre arbitre chez Descartes ou la liberté comme acceptation du destin ou de la nécessité (stoïciens) avec la définition ou, mieux, l’essence de la liberté. (Cela revient à confondre les différents modèles de voiture avec la définition ou l’essence d’une voiture). Et quelle que soit la conception que l’on choisit de la liberté, il faut qu’elle comporte les trois conditions de possibilité nécessaires et suffisantes :
– Il faut, pour qu’un être puisse être qualifié de libre, qu’il dispose d’une conscience ou mieux d’une raison. A contrario, on qualifie d’aliéné (de non libre) l’être qui a perdu la raison. Et la conscience ne suffit pas car, comme l’ont dit à leur façon Spinoza et Freud, ce n’est pas parce que je suis conscient de mes désirs que pour autant j’en connais les causes et les raisons. Un malade mental qui, sous l’emprise de la folie, tue consciemment un être qu’il connaissait ne sera pas jugé mais soigné (dans les pays qui ne se laissent pas manipuler par des idéologies politiques sécuritaires) car on estime qu’il avait perdu la raison, la faculté de juger la valeur de son acte.
– Il faut être en mesure, dans l’action que l’on fait, de l’effectuer volontairement. Si elle est le produit d’une contrainte la liberté disparaît.
– Il faut être en présence d’un choix effectif. Voilà pourquoi Rousseau pouvait à juste titre dénoncer les contrats d’esclavage qui ne proposaient pas de véritable choix pour celui qui les signait.
Ne pas oublier d’analyser le concept de fardeau en le comparant à celui de liberté.
L’intitulé propose un autre concept qui n’est pas spécifiquement philosophique mais qu’il faut interroger pour pouvoir le confronter aux trois conditions de possibilité de la liberté que nous venons de dégager. Un fardeau, c’est une chose qui est pesante et qu’il faut soulever. Il y a donc à la fois l’idée de quelque chose qui pèse, qui impose une certaine contrainte et nécessite, de la part de celui qui doit le porter, un effort. Et de cette chose qui pèse, le fardeau devient ce qui est pénible à supporter. Ainsi, nous devons nous demander en quoi la liberté qui n’existe que par l’absence de contraintes pourrait être la source de contraintes ! Et comment la liberté qui par définition nous allège du poids des déterminismes pourrait prendre la qualité opposée, à savoir, nous peser et nous contraindre à lutter contre sa pesanteur ?
La problématique est toute faite : il suffit de confronter les trois conditions de possibilité de la liberté avec les conditions de possibilité du fardeau.
Le seul gros effort intellectuel à faire est désormais de hiérarchiser les trois conditions de possibilité de la liberté en fonction du concept de fardeau.
– En quoi l’exercice de la conscience et de la raison pourrait constituer un poids, une activité qui est contraignante ? N’est-il pas plus facile de se laisser conduire par ses désirs et ses passions plutôt que faire travailler en nous la raison ? (voir le texte de Kant placé plus bas)
– Pour que la liberté soit possible, il faut que nous voulions faire ce que nous faisons. S’il est facile de montrer que la volonté n’est en rien un poids, il n’est pas non plus impossible de mettre en évidence que l’exercice de la volonté se heurte au fait qu’il nous semble beaucoup plus léger de nous laisser conduire par nos désirs qui n’exigent pas l’effort de la volonté. Pour ceux qui ne comprendraient pas ce que nous voulons dire, il suffit qu’ils considèrent la différence qu’il y a entre vouloir travailler pour préparer son examen ou son concours et désirer travailler ….
– Enfin, en quoi effectuer un choix pourrait-il être léger ou pesant pour celui qui exerce sa liberté ? Pour ne donner que deux exemples : lorsque nous devons choisir à la fin de la terminale notre avenir, la nécessité de choisir peut être vécue aussi bien comme une libération que comme une contrainte. Et pensons à la France sous l’occupation, il faut choisir et ce choix est un poids (voir Sartre dans « L’existentialisme est un humanisme »).
Reste à réfléchir sur l’enjeu de la question qui en est la conséquence : si la liberté est une contrainte, faut-il la rechercher, se battre pour elle; n’y a-t-il pas d’autres valeurs (le bonheur : les compagnons d’Ulysse prisonniers dans l’antre du Cyclope mais heureux d’y séjourner car bien nourris)?
Dernier conseil : dans la réponse proprement dite, on pourra maintenant utiliser les différentes conceptions de la liberté. Il est évident que si on accepte que la liberté soit celle d’un libre-arbitre qui permet de choisir absolument, sans raison, on ne voit pas en quoi la liberté pourrait constituer un poids mais, à l’inverse, la conception de la liberté comme acceptation d’un destin exige un travail essentiel de la raison qui me permet de comprendre ma situation et me confronte au poids de cette situation. Enfin, la conception que l’on trouve chez Merleau-Ponty comme choix parmi les déterminismes montre que je dois à la fois, pour être libre, exercer ma raison pour connaître les déterminismes qui pèsent sur moi et, à la fois, faire l’effort de choisir volontairement parmi eux (tout cela a un sens que si l’on ne confond pas déterminisme et destin : dans le déterminisme, tel effet n’aura lieu que si telle cause est présente alors que dans le destin, l’effet se produira nécessairement quelle que soit la cause).
Source utilisable : cet extrait de l’opuscule de Kant « Qu’est-ce que les Lumières ? » qui montre que les hommes parfois, par paresse, par lâcheté, ne veulent pas exercer leur raison et renoncent à la liberté en choisissant de rester dans leur minorité. . Et vous verrez aussi que si vous croyez qu’en lisant ce « corrigé », vous n’avez plus à penser, à la fois vous n’avez pas compris ce qui vous est demandé dans une dissertation et vous avez perdu votre liberté … Vous comprenez en quoi exercer la liberté, l’assumer est un fardeau …
« Qu’est-ce que les Lumières ? La sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement (pouvoir de penser) sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable (faute) puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! (Ose penser) Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières.
La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchi depuis longtemps d’une (de toute) direction étrangère, reste cependant volontiers, leur vie durant, mineurs, et qu’il soit facile à d’autres de se poser en tuteur des premiers. Il est si aisé d’être mineur ! Si j’ai un livre qui me tient lieu d’entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n’ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n’ai pas besoin de penser pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes (y compris le sexe faible tout entier) tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c’est une chose pénible, c’est ce à quoi s’emploient fort bien les tuteurs qui très aimablement (par bonté) ont pris sur eux d’exercer une haute direction sur l’humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail (domestique) et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n’aient pas la permission d’oser faire le moindre pas, hors du parc ou ils les ont enfermé. Ils leur montrent les dangers qui les menace, si elles essayent de s’aventurer seules au dehors. Or, ce danger n’est vraiment pas si grand, car elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher ; mais un accident de cette sorte rend néanmoins timide, et la frayeur qui en résulte, détourne ordinairement d’en refaire l’essai. »