(Lire ici les premières analyses faites sur ce sujet)

Nous avons analysé déjà la structure de la phrase qui nous impose (sic) une façon d’envisager la question mais nous avons commencé à questionner cette « imposition » pour montrer qu’elle met en place une perspective, des présupposés que l’on pourra, au cours du devoir, (mais sans changer de sujet!) remettre en question. Ce n’est pas tant la réponse qui compte en philosophie que le questionnement.

Nouvel objet technique produit et breveté en 2012 par des ingénieurs français : une roue électrique qui se meut d’elle-même et modifie notre façon de nous déplacer ou de déplacer les objets … techniques

L’intitulé pose la question des façons de penser et des manières de vivre en terme d’imposition, ce qui revient à faire de la liberté un enjeu du sujet posé.

Mais le paradoxe est que les objets techniques sont le fruit d’une production humaine et non naturelle. Comment ce qui est le fruit de sujets humains, peut-il être la cause de ce qui semble limiter la liberté ? Car, comment faut-il comprendre le sens du verbe imposer ? Imposer signifie faire subir, faire accepter par contrainte et que l’on choisisse entre la façon de penser ou la manière de vivre, les objets techniques viendraient remettre en question la liberté, le choix véritable dans nos actions et nos pensées. Ainsi nous voyons que cet intitulé engage, à travers, la question des objets techniques celle de la liberté. Pourquoi ne pas garder cette interrogation pour une partie de notre devoir ? (Ce sera à vous de décider de sa place ; pourquoi pas la dernière pour élargir le champ de la question posée?) Quelle est la nature de la liberté chez l’homme ? Est-on libre si l’on est contraint ? Est-on libre si l’on est déterminé par les objets techniques et faut-il comprendre toute imposition comme une contrainte ?
La liberté est ici l’enjeu du sujet mais il ne faut pas être victime du sens premier et immédiat de ce verbe. Il peut y avoir imposition et liberté ! En effet, dans une démocratie, être imposé à payer des impôts ne signifie nullement (à moins de se placer a priori parmi les pigeons asociaux de mauvaise foi) ne pas être libre, car il s’agit d’un acte qui permet à la collectivité à laquelle on participe librement d’accomplir des tâches qui visent l’intérêt commun. De même, dans le domaine de la morale, s’imposer d’obéir à une loi, est le signe de la liberté et non pas de l’aliénation. Sur ce point la pensée politique de Rousseau rejoint la pensée morale de Kant car la morale de ce dernier définit la liberté comme obéissance à la loi qu’on s’est don¬né librement d’une façon autonome ; Rousseau écrit dans le chapitre 8 du Contrat social une formule très kantienne quand il déclare : « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté« . C’est l’homme, en tant qu’il appartient au corps politique souverain, qui décide des lois et qui, en tant que sujet, s’y soumet. L’autonomie du sujet politique chez Rousseau est identique à l’autonomie du sujet moral kantien. La différence consiste cependant dans le fait que pour Kant, il faut obéir à la loi parce que c’est la loi, elle constitue, une fin, un but en lui même alors que pour Rousseau il faut lui obéir comme moyen de réaliser et de respecter la liberté. Ainsi dans une démocratie (cette condition d’une démocratie véritable est, bien entendu, essentielle), l’imposition à la loi n’est pas contrainte mais liberté. Aussi, on peut voir que dans votre développement, vous pourrez successivement défendre la thèse selon laquelle l’imposition des objets techniques semble détruire la liberté puis montrer que cette imposition n’abolit en rien la liberté si l’on comprend ce qu’est la liberté.

Car on ne peut échapper au paradoxe suivant : les objets techniques n’ont-ils pas été mis en place pour permettre à l’homme d’échapper à des contraintes et pour se libérer ; comment pourrions-nous alors les présenter comme la cause de la perte de liberté alors qu’ils ont été produits librement par les hommes ? Quelle serait donc cette propriété des objets techniques qui les rendrait capables de produire l’effet contraire de ce pour quoi ils ont été produits ? On pourrait relire le mythe du Phèdre< dans Platon concernant la technique de l’écriture : celle-ci, présentée comme un remède (pharmakon), se révèle être, selon Platon, un poison (pharmakon) ; au lieu de la mémoire, elle produit de l’oubli ; au lieu de la présence, elle produit de l’absence, au lieu d’un sujet qui pense de façon autonome, on a un sujet qui dépend désormais de l’extérieur (l’écriture) pour penser etc. (nous mettrons bientôt un commentaire de ce mythe sur le site). Et, sans s’en rendre compte, les critiques les plus acerbes des nouveaux objets techniques, notamment informatiques, ne font que répéter ce qu’écrivait Platon : internet produirait de l’oubli, de l‘amnésie, une perte de réflexion et de raison …. Bref, les objets techniques, et plus particulièrement, les nouveaux objets techniques, en polarisant et les manières de vivre et de penser des hommes, les rendraient étrangers, aliénés, à leur essence d’homme qui est de penser de façon autonome.

Cette interrogation sur la liberté dont dispose l’homme par rapport aux objets techniques aussi bien quant à la façon de vivre que de penser, pourrait nous amener à nous interroger sur ce qu’il en serait si, au lieu d’objets techniques, nous étions en présence d’objets naturels. Ceux-ci seraient ce qui s’impose à l’homme indépendamment de toute action venant de celui-ci, comme un océan, un lac, une montagne, une forêt, un sol etc. Mais, précisément, n’est-ce pas parce que ces objets naturels contraignaient les hommes que ceux-ci ont mis en place des objets techniques capables de les libérer ? Et inversement, ne faudrait-il pas renverser le sens de l’intitulé en disant que ce sont les façons de vivre et de penser des hommes qui ont imposé et s’imposent aux objets techniques ?