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Toute prise de conscience est-elle libératrice ? Série L

Il s’agit là d’un sujet classique qui, a priori, ne présente aucun piège pour un candidat normalement préparé. Quelle est la condition de possibilité d’existence de la conscience ? C’est la faculté de s’éloigner, de s’abstraire, de prendre du recul par rapport à ce qui est. Ce qui est, peut désigner aussi bien le monde que soi-même. Ainsi la conscience est la faculté qui nous permet à la fois de nous séparer du monde et de nous-mêmes pour pouvoir ré-fléchir.

Quelles sont les conditions de possibilité de la liberté qui existent indépendamment des différentes conceptions que les philosophes peuvent avoir ? On en dégagera essentiellement trois : – disposer d’une conscience ou mieux d’une raison – être en mesure dans l’action que l’on fait de l’effectuer volontairement – être en présence d’un choix effectif

La problématique se dégage d’elle-même : comment ne pourrait-on pas accorder la possibilité de nous libérer à la faculté, la conscience, qui est l’une des conditions de possibilité de la liberté ? De plus, par la possibilité d’abstraction que nous donne, la conscience n’est-elle pas ce qui nous permet d’effectuer des choix véritables et non pas des choix illusoires ? Mais cette capacité de distanciation donnée par la conscience ne constitue qu’une condition de possibilité de la liberté ? Ne pourrait-on pas être conscient sans disposer de la volonté qui est l’une des conditions de possibilité nécessaire pour que la liberté soit effective ? Plus grave encore, ne pourrait-il pas y avoir dans la conscience elle-même une illusion concernant sa véritable distance par rapport à ce qui est ? En d’autres termes, pour être libre ne faut-il pas connaître la raison et pas seulement disposer de la conscience, de ce qui nous fait agir ?

Sur le fond, il est facile de montrer dans une première thèse que la prise de conscience est libératrice dans la mesure où elle nous permet de nous séparer, de nous distancier de ce qui nous détermine sans que nous nous en rendions compte. La conscience, en nous permettant de connaître les causes qui pèsent sur nous, est le facteur de libération de l’homme. Les premiers philosophes comme les épicuriens insistent précisément sur l’aspect libérateur pour les hommes de connaître les causes des phénomènes qui surgissent dans leur existence. Et cette connaissance est d’autant plus libératrice qu’elle leur permet d’échapper aux aliénations de nature religieuses ou métaphysiques. De même, dans le domaine de l’économie, Marx montre que c’est la connaissance de la science économique qui permettra aux hommes de se libérer des aliénations qu’ils subissent. Bien entendu, ce sont les philosophes classiques comme Descartes qui montreraient le mieux cette identité de la conscience et de la liberté. La démarche du doute, de la prise de conscience des préjugés qui pèsent sur nous est le chemin de la liberté.

Mais la prise de conscience ne suffit pas pour être libre. Ainsi, il ne suffit pas d’être conscient des problèmes psychologiques que l’on rencontre pour pouvoir s’en libérer. Certes, il s’agit là d’un premier pas mais qui ne peut constituer véritablement une libération. De même, prendre conscience des causes d’une maladie génétique sur laquelle nous n’avons aucune thérapie à valable, mais nous rend pas plus libre car nous ne disposons, par rapport à la maladie, ni de choix possibles ni de volonté. Mais il existait des arguments plus subtils que l’on pouvait trouver aussi bien chez Platon que chez Spinoza qui nous permettraient de remettre en question l’identification entre la conscience et la libération. Les prisonniers de la caverne, c’est-à-dire l’homme du commun, sont bien conscients de vivre ce qu’ils vivent mais, pour autant, ils ne voient pas l’aliénation dont ils sont les victimes : là encore il n’existe ni choix véritable ni volonté. De même, Spinoza compare l’homme qui est conscient d’être libre à un enfant qui croirait désirer librement le lait. Ce n’est pas parce qu’il est conscient de son désir qu’il est libre de désirer ce qu’il désire ; il est semblable à une pierre, ajoute Spinoza, que l’on ferait tomber et à qui, dans sa chute, on prêterait une conscience et qui déclarerait alors qu’elle est libre de tomber parce que qu’elle en est consciente et parce qu’elle le veut. En d’autres termes, la conscience, malgré la distance qu’elle donne, pourrait être victime d’illusions quant à la liberté qu’elle pense permettre. Et c’est bien entendu dans la notion d’inconscient psychique que l’on pourrait voir le meilleur exemple d’illusions de la conscience sur sa propre liberté car l’originalité de la pensée freudienne consiste à affirmer que nous pouvons être conscients d’agir en ignorant les causes qui nous font agir.

Cela revient, dans un dernier temps, à s’interroger sur le sens qu’il faut accorder à l’expression « prendre conscience ». S’il ne s’agit que d’avoir conscience de ce qui se passe, de la situation dans laquelle on est, cela n’est pas suffisant. Mais si l’on donne un sens fort à cette expression, elle implique que non seulement j’exprime ce qui est mais que je suis en mesure de l’analyser, d’en trouver les raisons. Si l’on donne à l’expression prendre conscience toute sa profondeur, à savoir la connaissance des raisons, on peut parler de libération. C’est d’ailleurs ce que pensent Spinoza ou Platon. Lorsque le premier critique les illusions de la conscience et donc de la liberté, il ne renonce pas pour autant à l’idée de liberté. Il invite les hommes à développer leur raison qui les rendra véritablement libres. Ainsi dans son sens fort, la prise de conscience peut-être véritablement libératrice. Encore ne faut-il pas confondre la conscience et la raison. La conscience et la condition négative d’une libération car ne pas être conscient, ça ne pas être libre mais, pour autant, être conscient n’implique pas que l’on soit libre. Il faut que la conscience se transforme en raison pour qu’elle soit effectivement libre.

Les oeuvres d’art sont-elles des réalités comme les autres ? Série L.

Il s’agit là d’un sujet classique mais qui comporte un concept fourre-tout qui est celui de réalité difficilement maîtrisable si l’on ne prend pas la peine de le penser. On ne tombera pas dans l’erreur qui consisterait à penser que ce sujet nous invite à nier les différences qui existent entre les oeuvres d’art et d’autres réalités. L’essentiel du sujet porte sur « sont-elles » ce qui veut dire qu’il met l’accent sur ce qui est, sur la nature, sur l’essence de l’oeuvre d’art, bref, sur son statut ontologique. On peut ici considérer qu’est réel tout ce qui est, ce que les philosophes appellent les étants. Mais parmi les étants, on peut en distinguer deux grands types, à savoir les étants naturels et les étants qui sont le produit d’une action de l’homme, de la culture. Ainsi notre question devient double car elle peut porter aussi bien sur la comparaison entre l’oeuvre d’art et les étants naturels ce qui permettrait de réfléchir sur l’aspect spécifique de la production esthétique par rapport à la production naturelle. Mais elle peut aussi porter sur la comparaison avec d’autres étants produits par l’action de l’homme notamment par la technique, par le travail, par la culture : c’est cette deuxième voie qui est certainement la plus riche à suivre. L’intitulé nous invite à réfléchir sur la spécificité des oeuvres d’art par rapport aux autres types d’étants ? Existe-t-il une nature commune ou faut-il dire que les oeuvres d’art sont transcendantes aux autres réalités ? Quel est donc le statut ontologique des oeuvres d’art ? Existe-t-il une différence d’essence entre tous les étants du monde et des étants que l’on qualifie d’oeuvres d’art ?

Il est alors nécessaire de s’interroger sur les conditions de possibilités de l’oeuvre d’art : – une production ou une création. Cette première condition de possibilité est très importante pour ce sujet et conditionne en grande partie la problématisation. Si l’on dit que l’oeuvre d’art est une production, on ne voit pas en quoi elle pourrait avoir un statut fondamentalement différent des productions techniques. Mais si l’on accorde à l’oeuvre d’art le statut de création produit par l’imagination (faculté de néantisation du réel), nous aurions un argument essentiel pour lui donner un statut ontologique spécifique, singulier. L’imagination qui est à l’œuvre dans l’art, ne pose pas une existence car elle neutralise le réel ; en termes sartriens, elle le néantise. Elle est le pouvoir de faire surgir quelque chose qui n’appartient pas au réel, qui ne vient pas du réel. L’imagination est le pouvoir (signe de la liberté de l’homme) de créer véritablement un réel qui se suffit à lui-même. – la beauté : cette production vise une qualité qui est la beauté (on pourrait montrer dans le corps du devoir qu’il peut exister une beauté naturelle en dehors d’une oeuvre d’art) – la joie mieux le bonheur que l’on sent (l’œuvre d’art est une affaire de sentir et non pas de perception habituelle) La problématisation surgit d’elle-même de l’analyse des conditions de possibilité ? L’œuvre d’art n’est-elle pas un étant parmi d’autres ? Quelle différence de nature pourrait-il exister entre un bâtiment fonctionnel et une église considérée comme un chef-d’oeuvre de l’art roman ? Ne sommes-nous pas dans les deux cas en présence d’une réalité faite de pierres ? Inversement, si elle est le produit de l’imagination, faculté du non-être, de néantisation de l’être et du réel, ne faut-il pas en déduire qu’elle ne peut pas être au sens fort du terme, qu’elle n’a pas le statut de réalité habituelle ? N’est-elle pas une réalité comme une autre que pour celui qui ne la constitue pas comme oeuvre d’art par son imagination ? Ne faut-il pas au contraire affirmer le caractère sacré (du latin sacer qui signifie séparé) de toute oeuvre d’art qui ferait que son être ne peut être l’être de tous les autres êtres ? L’enjeu de cette question pouvait déboucher sur le statut de l’oeuvre d’art dans le monde contemporain : si l’oeuvre d’art n’a pas, n’a plus, comme le montrait déjà Benjamin, un statut séparé, sacré par rapport à l’ensemble des étants, ne faut-il pas en conclure que l’art est mort en tant qu’art et qu’il ne peut plus y avoir d’oeuvres d’art. Bref, la capacité technique de reproduire les oeuvres d’art de façon infinie, n’a-t-elle pas pour conséquence de rendre l’oeuvre d’art semblable aux autres réalités et de nier son statut ontologique séparé.

Série TL Explication de texte

Expliquez le texte suivant

En menant une existence relâchée les hommes sont personnellement responsables d’être devenus eux-mêmes relâchés, ou d’être devenus injustes ou intempérants, dans le premier cas par leur mauvaise conduite, dans le second en passant leur vie à boire ou à commettre des excès analogues : en effet, c’est par l’exercice des actions particulières qu’ils acquièrent un caractère du même genre qu’elles. On peut s’en rendre compte en observant ceux qui s’entraînent en vue d’une compétition ou d’une activité quelconque : tout leur temps se passe en exercices. Aussi, se refuser à reconnaître que c’est à l’exercice de telles actions particulières que sont dues les dispositions de notre caractère est-il le fait d’un esprit singulièrement étroit. En outre, il est absurde de supposer que l’homme qui commet des actes d’injustice ou d’intempérance ne veuille pas être injuste ou intempérant ; et si, sans avoir l’ignorance pour excuse, on accomplit des actions qui auront pour conséquence de nous rendre injuste, c’est volontairement qu’on sera injuste. Il ne s’ensuit pas cependant qu’un simple souhait suffira pour cesser d’être injuste et pour être juste, pas plus que ce n’est ainsi que le malade peut recouvrer la santé, quoiqu’il puisse arriver qu’il soit malade volontairement en menant une vie intempérante et en désobéissant à ses médecins : c’est au début qu’il lui était alors possible de ne pas être malade, mais une fois qu’il s’est laissé aller, cela ne lui est plus possible, de même que si vous avez lâché une pierre vous n’êtes plus capable de la rattraper. Pourtant il dépendait de vous de la jeter et de la lancer, car le principe de votre acte était en vous. Ainsi en est-il pour l’homme injuste ou intempérant : au début il leur était possible de ne pas devenir tels, et c’est ce qui fait qu’ils le sont volontairement ; et maintenant qu’ils le sont devenus, il ne leur est plus possible de ne pas l’être.

Aristote, Éthique à Nicomaque

Ce texte a pour objet la responsabilité éthique et morale (les deux ne sont pas dissociés chez Aristote comme pour la plupart des philosophes grecs, puisqu’il parle aussi bien de la maladie que du mal moral) de l’homme dans ses actions. Pour cela, Aristote dégage les conditions de possibilité d’une telle responsabilité : le choix, la volonté, la liberté. L’intérêt de son analyse réside dans l’articulation qu’il établit entre cette liberté et l’existence. Au lieu de saisir l’acte dans son aboutissement et dans sa fin, Aristote décrit la genèse d’une action libre. La liberté se construit au cours de l’existence par la mise en place d’une façon d’être habituelle que l’on choisit. Ainsi, si l’action mauvaise nous apparaît parfois comme le résultat d’un destin, c’est que nous oublions qu’il est la conséquence d’un choix préalable, d’une volonté première qui dépend de nous et que nous devons construire jour après jour par nos propres choix.

Bref, la liberté n’est pas un simple voeu mais ce que nous construisons au cours de notre existence. L’homme est responsable parce que son existence dépend de sa liberté construite.