Est-ce le cerveau qui pense ?

Pour nous, il s’agit d’un sujet extrêmement difficile aussi bien pour les élèves que … pour les professeurs. Et comme pour tout devoir, il faut faire l’effort de rester naïf devant l’intitulé, pour l’interroger, le questionner. Or, et le plus difficile sera de voir ce que beaucoup ne verront pas, à savoir, le pronom « qui ». C’est sur lui que repose une interrogation véritable sur le sens de l’intitulé.

Le premier piège dans lequel un grand nombre de candidats vont tomber, porte sur la compréhension du mot « cerveau ». Beaucoup vont, sans réfléchir, le remplacer par un autre qui leur est plus familier, à savoir, esprit. Or, il est essentiel de saisir que ce sujet veut faire réfléchir sur l’organe physiologique, la structure matérielle, que l’on nomme cerveau.

Le second porte sur le sens du verbe penser ! Répondre de façon pertinente à la question « qu’est-ce que penser ? » nous semble une tâche impossible pour un élève de terminale s’il n’a pas eu un exposé sur cette notion durant l’année. On ne confondra pas pensée et intelligence. S’il est vrai que l’on ne peut pas penser sans intelligence, on peut être intelligent sans penser : n’est-ce pas d’ailleurs le cas de ceux qui lisent cet exposé ? Certes, ils montrent une intelligence pour se préparer à un examen mais ils rêvent de trouver l’exposé qui leur permettra de ne pas penser ! Or la « méthode » que nous présentons sur ce site a pour but de vous donner, non pas des réponses toutes faites, mais les conditions qui vous permettront de penser. Cependant, ne vous y trompez pas : avoir les conditions qui permettent de penser ne vous fait pas automatiquement penser ! Car la pensée exclut, par définition, l’automatique, le programmé, l’algorithmique (on entend par là, une suite réglée d’opérations qu’il suffirait de suivre pour aboutir nécessairement à un résultat déterminé). Un bon exemple de cela peut être donné par les ordinateurs qui, par les algorithmes de plus en plus élaborés, sont capables d’effectuer des tâches que l’on qualifie d’intelligentes mais que l’on ne pourra pas être produites par une pensée. Pourquoi ? Pensez donc au sens du mot pensée pour répondre à la question !

De plus, comme toujours en philosophie, il faut veiller aux différentes acceptions d’un même concept comme le sens large ou le sens faible. Ainsi, Descartes, dans ses « Principes de la philosophie » donne une « définition » très large de ce qu’il entend par pensée. « Par le mot de penser, j’entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-mêmes ; c’est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose ici que penser. Car si je dis que je vois ou que je marche, et que j’infère de là que je suis ; si j’entends parler de l’action qui se fait avec mes yeux ou avec mes jambes, cette conclusion n’est pas tellement infaillible, que je n’aie quelque sujet d’en douter, à cause qu’il se peut faire que je pense voir ou marcher, encore que je n’ouvre point les yeux et que je ne bouge de ma place ; car cela m’arrive quelquefois en dormant, et le même pourrait peut-être arriver si je n’avais point de corps ; au lieu que si j’entends parler seulement de l’action de ma pensée ou du sentiment, c’est-à-dire de la connaissance qui est en moi, qui fait qu’il me semble que je vois ou que je marche, cette même conclusion est si absolument vraie que je n’en puis douter, à cause qu’elle se rapporte à l’âme, qui seule a la faculté de sentir ou bien de penser en quelque autre façon que ce soit. ». On notera que Descartes ne nous donne pas tant une définition de ce que c’est que penser, qu’une de ses caractéristiques, pour lui, essentielle, à savoir, le fait d’apercevoir en nous immédiatement et par nous-même quelque chose, même une sensation. Et si sentir, c’est penser, cela montre que la pensée ne se réduit pas pour lui à l’intelligence, à ce qu’il nomme, l’entendement. Enfin, nous notons aussi dans ce petit texte un point important pour notre devoir : Descartes envisage l’hypothèse que je puisse être sans corps (je pourrais donc, en principe, penser sans corps) et surtout il montre clairement que, pour lui, c’est l’âme qui pense car elle « seule, a la faculté de sentir ou bien de penser.» Je peux me tromper quand j’affirme que mon corps est en train de se déplacer (je puis rêver), je ne puis pas me tromper quand je dis que je pense tel sentir ou telle idée. On comprend déjà que la façon de définir la pensée préjuge grandement de la réponse que l’on peut apporter au sujet : est-ce le cerveau qui pense ?
(la suite, un peu plus tard)