Quelle est la qualité essentielle que recherche le correcteur dans une dissertation? Le questionnement, l’interrogation, l’étonnement qui est le même nom que problématique. Cela signifie que celui qui prend l’intitulé comme allant de soi n’a pas compris en quoi consiste l’esprit de la dissertation philosophique qui ne peut jamais consister dans la récitation de ce que l’on a appris. C’est pourquoi, même si l’on croit comprendre le sens de l’intitulé, il faut s’astreindre à se dire qu’on ne le comprend pas! En d’autres termes, il faut penser qu’il n’y a rien d’évident. Cette méthode socratique est la seule qui permette de se placer en situation de réflexion. Même si, plus loin dans son devoir, on a du mal à démontrer telle ou telle thèse, le fait d’avoir véritablement questionné l’intitulé suffit pour obtenir la moyenne. On comprend pourquoi le conseil essentiel de la plupart des professeurs de philosophie consiste à demander à leurs élèves qu’ils définissent les concepts présents dans l’intitulé. Mais il y a une manière de le faire mécaniquement qui n’a strictement aucun intérêt puisqu’elle se contente de donner une définition à la façon d’un dictionnaire. De même que l’on ne peut pas apprendre une langue étrangère en apprenant, les uns après les autres, des mots isolés dans un dictionnaire, on ne peut pas penser que l’on a fait un travail de réflexion sur l’intitulé en accumulant simplement les définitions des mots. Le sens d’une phrase n’est pas la simple résultante de l’addition des mots qui la constitue. Il faut donc définir les mots mais jamais pour eux-mêmes mais toujours en les faisant circuler dans l’ensemble de l’intitulé.
Comment définir les concepts?
Il faut poser la question suivante : que faut-il pour qu’il y ait (travail, bonheur, interprétation, vivant etc.) ? Quelles sont les conditions nécessaires et suffisantes qui rendent possibles ces notions? Cela permet de dégager l‘essence du concept considéré c’est-à-dire ce qui fait que le travail est du travail et non pas autre chose, que le bonheur est du bonheur et non pas du plaisir etc.
Application :
Prenons l’exemple d’une notion au programme, celle de travail. Lorsque les élèves cherchent à définir la notion de travail, ils répondent la plupart du temps à une autre question qui porte sur l’utilité, la finalité du travail. La question est en fait de se demander ce qui fait que le travail est travail et non pas loisir, ce qui revient à en chercher l’essence.
– On remarquera rapidement que la condition majeure pour qu’il y ait travail, est la présence d’une production qui peut être de nature matérielle et/ou intellectuelle.
– Mais toute production n’est pas du travail au sens fort du terme (rappelons que dans une dissertation et notamment sur les concepts qui figurent dans l’intitulé on doit nécessairement prendre un sens fort et non pas un sens faible). D’ailleurs, on peut se demander à la suite d’Aristote et de Marx si l’abeille qui construit des alvéoles à la façon d’un architecte ou l’araignée qui tisse une toile à la manière d’un tisserand, travaille. La réponse est négative car l’activité de travail exige que la production soit pensée, réfléchie. En d’autres termes, avant de produire un objet quelconque, le travailleur doit avoir dans son esprit la forme qu’il veut imposer à la matière, ce qui suppose une pensée, une conscience, une raison.
– Avons-nous pour autant trouvé l’essence du travail, ce qui fait que nous avons affaire à du travail et non pas à un loisir ? Pas encore, car dans le loisir, nous pouvons avoir une production réfléchie alors que nous ne parlerons pas évidemment d’activité de travail. Il faut donc faire apparaître une troisième condition de possibilité du travail, à savoir, une contrainte. Il n’y a de travail que si l’activité productrice possède, à des degrés divers, une part de contrainte. Inversement si celle-ci disparaît, le travail disparaît.
À ces trois éléments, généralement les élèves issus des sections économiques, ajoute la rémunération. On peut alors se demander si cet élément est indispensable pour dégager les sens de l’activité que l’on qualifie de travail. Il n’est pas difficile de s’apercevoir qu’il n’en est rien car, même si dans nos sociétés, il est devenu impossible de séparer travail et rémunération, il peut et il a pu exister des hommes, les esclaves, qui travaillaient sans être véritablement rémunérés. Même si l’on n’était pas payé, nous n’en travaillerions par moins si les trois conditions que nous avons dégagées sont présentes.
Supposons maintenant que le sujet nous demande si l’on peut concilier une activité de travail et le bonheur ? Sans vouloir ici définir la notion de bonheur qui devrait faire l’objet de la même analyse que celle que nous venons de faire pour le travail, il est évident qu’il est désormais facile de reprendre les éléments constituants de la notion de travail pour problématiser l’intitulé. Ainsi on proposera, sous forme interrogative, la question de la conciliation possible entre une production et le bonheur, entre la nécessité d’une conscience ou d’une raison et le bonheur, entre la présence d’une contrainte et le bonheur. Voilà ce qu’est la problématisation dont on vous parle tant et que vous n’avez jamais rencontrée! Si vous faites l’analyse des conditions de possibilité des concepts essentiels de l’intitulé, il en résulte nécessairement des oppositions, des contradictions, des paradoxes qui constituent ce que l’on nomme problème.
Voilà le conseil majeur à respecter dans une dissertation : ne jamais esquisser la moindre réponse tant qu’on n’a pas défini avec une grande attention les concepts qui figurent dans l’intitulé mais sans oublier bien entendu de faire circuler ces définitions entre les concepts : c’est cela faire preuve d’intelligence devant un sujet.