Expliquer le texte suivant : Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils, conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les « moyens du bord », c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. L’ensemble des moyens du bricoleur n’est donc pas définissable par un projet (ce qui supposerait d’ailleurs, comme chez l’ingénieur, l’existence d’autant d’ensembles instrumentaux que de genres de projets, au moins en théorie) ; il se définit seulement par son instrumentalité, autrement dit et pour employer le langage même du bricoleur, parce que les éléments sont recueillis ou conservés en vertu du principe que « ça peut toujours servir ». De tels éléments sont donc à demi particularisés : suffisamment pour que le bricoleur n’ait pas besoin de l’équipement et du savoir de tous les corps d’état ; mais pas assez pour que chaque élément soit astreint à un emploi précis et déterminé. Chaque élément représente un ensemble de relations, à la fois concrètes et virtuelles ; ce sont des opérateurs, mais utilisables en vue d’opérations quelconques au sein d’un type. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage (1962)
Quelle est la question posée dans ce texte ? S’agit-il de différencier le bricoleur et l’ingénieur comme on pourrait le penser à la première lecture ?
Certes, l’auteur, dans son développement, recourt plusieurs fois à la façon pour l’un et pour l’autre de se rapporter au monde qu’ils modifient.
Mais le but de l’analyse est plus précis : elle porte sur le statut des objets dans le monde du bricoleur. Cela fait penser au livre de Gilbert Simondon portant sur le mode d’existence des objets techniques (Bien entendu, on ne demande pas au candidat de faire une quelconque allusion à ce livre fondamental)
Les caractéristiques essentielles sont : la polyvalence, l’indétermination et la virtualité fonctionnelles, l’absence de finalité déterminée a priori.
Le bricoleur est celui qui parvient à mobiliser ces objets polyvalents, aux fonctions indéterminées, sans finalité précise, au service de son propre projet, de sa propre finalité.
L’ingénieur met en place des objets aux finalités strictement déterminées et aux fonctionnalités précises ; le bricoleur transforme les objets de l’ingénieur en éléments aux fonctions, pour lui, indéterminées et virtuelles, afin de les mettre au service d’une finalité (d’un telos) qui lui est propre et spécifique. Chez lui, la pauvreté en nombre de finalités fonctionnelles des objets produites par l’ingénieur se transforme en richesses indéfinies (mot à prendre dans toutes ses acceptions).