Quel paradoxe peut-on faire apparaître dans l’intitulé qui pourra constituer une problématique ?
Le bonheur est ce qui se sent, s’éprouve alors que la raison exclut précisément ce qui est de l’ordre de l’affect, du sentiment.
pour qu’il y ait bonheur il faut :
– une satisfaction (de satis qui signifie assez)
– une satisfaction totale, pleine
– cette satisfaction doit avoir une intensité maximale
– cette satisfaction doit présenter une durée maximale : ainsi le bonheur est un état stable, permanent, qui dure, en quelque sorte, éternellement. Il suppose donc sortie de la conscience et du temps.
Si le bonheur suppose une sortie de la conscience et par conséquent de la raison, comment pourrait-il avoir un lien quelconque avec la raison ?
Le bonheur comme fruit de la volonté et de la raison humaine : la raison aurait son rôle à jouer dans l’orientation vers le bonheur
A cette conception irrationnelle du bonheur et son advenue, on pourrait opposer la thèse selon laquelle le bonheur ne peut surgir que de la volonté de l’homme et de son action. C’est ainsi qu’Aristote écrit que « … la bonne fortune et le bonheur sont différents. La cause des biens extérieurs à l’âme, en effet, c’est le hasard et la chance, alors que personne n’est juste ni tempérant par chance ou du fait de la chance… » Le bonheur ne peut pas venir du hasard ; il est le fruit de l’action de l’homme.
Les cyniques et stoïciens affirment de la même façon que le bonheur est la conséquence de l’exercice de la volonté. Pour Diogène, le bonheur se trouve dans la vertu de la volonté qui permet à l’homme d’être totalement indépendant, autarcique, détaché de tout souci venant des biens comme des problèmes de la cité.
Les stoïciens invitent l’homme à bien discerner ce qui dépend véritablement de la volonté de l’homme. Le bonheur advient quand l’homme veut ce qui arrive au lieu de vouloir s’opposer au destin contre lequel il ne peut rien. C’est pourquoi, les stoïciens distinguent ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas. Le premier paragraphe du Manuel d’Epictète commence ainsi : « Les choses se divisent en deux : celles qui dépendent de nous et celles qui ne dépendent pas de nous. Dépendent de nous ce qu’on pense de quelque chose, la tendance, le désir, l’aversion, et, en un mot, tout ce qui est notre œuvre. Ne dépendent pas de nous le corps, la possession, l’opinion des autres, les fonctions publiques, et, en un mot, tout ce qui n’est pas notre œuvre. Ce qui dépend de nous est, par nature, libre, sans empêchement, sans contrariété, tandis que ce qui ne dépend pas de nous est faible, esclave, sujet à empêchement, étranger. » (Manuel, 1, 1-2.)
Cette distinction est centrale chez les stoïciens car elle permet de ne pas rechercher le bonheur dans de ce que nous ne pouvons pas atteindre. Si je désire des biens qui ne dépendent pas de moi, je me condamne au malheur. Tel est le cas de celui qui cherche l’argent, les honneurs qui ne dépendent pas entièrement de lui mais surtout des aléas, du hasard, des circonstances, de la fortune : « Toi donc qui recherches de si grandes choses, souviens-toi qu’il ne faut pas mesurer ta peine pour les atteindre, mais renoncer complètement à certaines idées en remettre d’autres à plus tard pour le moment. Si, en plus de ces choses, tu désires aussi la richesse et le pouvoir, tu risques de ne même pas les obtenir, parce que tu poursuis aussi les premières. Et, très certainement, tu manqueras les choses qui seules procurent la liberté et le bonheur. » Epictète, Manuel, I,4.).
Le bonheur comme chance favorable qui ne dépend pas de nous et de la raion.
Augurium signifie tout d’abord science des augures, divination par chant ou le vol des oiseaux. Puis présage, prévision, pressentiment et signe, indice. On voit qu’il y a un renvoi à l’avenir, à ce qui va arriver. Le signe, par définition, renvoie toujours à autre chose que lui-même ; il a une fonction indicatrice, de renvoi à autre chose que ce qui est présent, donné ici et maintenant. S’il y a présage, prévision, le concept d’augurium finit par signifier sort, destin favorable. Le bonheur, le bonum augurium est donc, à proprement parler, un événement favorable, un bon présage.
Ceci n’est pas sans retentir d’une façon paradoxale sur une autre direction de sens d’augurium qui renvoie à hasard, chance. Le bonheur est donc, si l’on suit l’étymologie, un plaisir, un bien, qui arrive par chance au sens de hasard (la chance désigne d’abord la façon dont les dés tombent, c’est-à-dire par hasard). Le bonheur est donc, étymologiquement, une chance favorable, ce qui lui échoit. Telle est la signification que nous trouvons en anglais dans Happiness, de Happen, arriver par hasard et en allemand dans Glück, de Gelingen, réussir (cf. en anglais Luck (Good luck). On trouve le même sens dans le mot latin felix qui signifie protégé des dieux mais aussi chanceux.
Mais alors si c’est un état qui nous vient de la fortune, l’homme ne peut rien ou tout au moins presque rien faire quant à sa survenue ou son obtention. Il nous arrive d’une façon inattendue et imprévue qui n’est pas de l’ordre de la raison. Si nous pouvions prévoir ce qui arrive par hasard, il n’y aurait plus de hasard. (Telle est, ou plutôt telle a été, l’ambition de la science classique au cours de son histoire en remplaçant le hasard par le déterminisme absolu. Nous disons absolu puisque le hasard obéit au déterminisme). De plus, le bonheur qui survient par hasard serait à tout moment susceptible de disparaître par l’effet de ce même hasard ! « Car, écrit Aristote, il y a beaucoup de changements dans la durée d’une vie, ainsi que des hasards de toute sorte, et l’homme le plus prospère peut tomber dans les plus grands malheurs dans sa vieillesse, comme l’épopée le raconte de Priam : or celui qui est impliqué dans de tels revers de fortune et finit misérablement ne peut passer pour heureux ». A quoi bon désirer un état qui apparaît et disparaît par hasard ? Le bonheur, affaire de chance, ne serait qu’un événement sans raison, sans densité, sans substance et dont la venue ne dépend en rien de nous.
Pour résumer cette direction, si le bonheur est la conséquence d’un hasard, il présenteraitl une nature profondément irrationnelle, puisque survenant sans raison essentielle (est irrationnel ce qui est sans raison, ce qui n’a pas de raison d’être).
Ce que la raison peut atteindre comme on le voit dans les philosophies épicuriennes ou stoïciennes, ce n’est pas le bonheur mais la régulation des plaisirs qui sont d’une tout autre nature.