Société et Etat : peut-on ne pas confondre les deux concepts ?

Il est difficile dans nos sociétés occidentales contemporaines de distinguer la société et l’Etat et nous employons spontanément de façon indifférente un concept pour un autre. Nous voudrions utiliser un article de Dominique Rousseau Professeur à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, paru dans le journal Le monde du 23/06/2011 pour mettre en garde les étudiants contre une confusion qui, selon les sujets, ne serait pas pardonnable. (Précisons qu’il n’est pas question au concours de prendre parti politiquement sur la question du statut de la justice en France ! Nous ne donnons cet exemple que dans un but pédagogique de clarification conceptuelle et la dissertation à faire au concours ne relève pas des sciences politiques mais de la réflexion philosophique. Nous ne prenons pas parti sur le bien-fondé de la thèse de l’auteur). Cependant, nous allons voir que ce qui se présentait, pour nous, comme une clarification de la signification différente de ces deux concepts, n’aboutit pas à des résultats aussi nets que ce que l’on pouvait attendre !
Le titre en est volontairement provocateur : «Mettons fin aux conflits d’intérêts, supprimons le ministère de la justice ! ». Dans nos sociétés la justice est désormais une fonction d’Etat qui n’est pas sans lien avec le gouvernement dans la mesure où il existe un ministre, garde des sceaux, dont la fonction est de veiller au bon fonctionnement de l’institution judiciaire. Or Dominique Rousseau voudrait la sortir «du gouvernement, en supprimant le ministère de la justice, en la confiant à une autorité constitutionnelle indépendante. » Comment justifier une telle « indépendance » de la sphère de la justice par rapport à l’Etat et au gouvernement ? En faisant une distinction qui nous semble capitale pour notre question entre, d’une part, l’Etat et, d’autre part, la société : « L’exécutif et le législatif sont des pouvoirs de l’Etat, la justice est un pouvoir de la société. Si, en effet, gouvernement et Parlement coproduisent la politique du pays et adoptent les lois qui la traduisent, la justice n’est pas une autorité de l’Etat chargée de faire passer cette politique dans et par ses jugements». L’Etat se caractériserait ici par deux institutions essentielles que sont le pouvoir législatif (le parlement) et le pouvoir exécutif (le gouvernement) et la justice serait dans une sphère indépendante des deux premières et relèverait essentiellement de la société. L’auteur continue ainsi sa thèse sur la justice : « Elle n’est ni une autorité d’application ni une autorité préfectorale parce qu’elle ne relève pas de la sphère étatique. La justice est un pouvoir qui se situe à l’articulation de la sphère civile et de la sphère étatique, comme pouvoir de la mesure, pouvoir d’équilibre des différentes sphères sociales, pouvoir de  » concert  » au sens de Montesquieu, c’est-à-dire qui, par la reconnaissance mutuelle des droits, favorise le travail de chacun, la coopération, le lien social».

On voit donc que nous n’avons ici, contrairement à ce que nous attendions, une distinction claire entre l’Etat et la société car l’auteur n’avait pas pour objectif fondamental de distinguer deux sphères de réalité (l’Etat, la société) mais deux types de pouvoir qui n’ont pas la même origine, l’un venant de la société, l’autre de la sphère étatique. Mais on pourrait dire que le gouvernement comme le pouvoir législatif, sont issus tous deux de la société. Certes, les ministres et les députés ne sont que des représentants de la société au sein de leur fonction étatique mais les juges, nommés par une « autorité constitutionnelle indépendante », ne seraient également que des représentants de la société. Sans nous prononcer sur le fond de l’article, on peut faire remarquer que contrairement aux apparences, nous n’avons pas quitté la sphère de l’Etat car, même si c’est de la société que vient ce pouvoir judiciaire, il ne pourrait l’exercer qu’au sein d’une organisation étatique qui lui concèderait cette « indépendance » et l’origine de son pouvoir. D’ailleurs la justice nous dit le droit. Or s’il y a droit, il n’y a plus société au sens strict mais instauration de normes qui viennent d’un Etat. Dans les sociétés primitives, sans Etat, il n’y a pas de droit mais des règles. Ainsi, dans nos sociétés, il est difficile, dès qu’on parle de justice (au sens institutionnel) de ne pas être dans la sphère de l’Etat auquel on ne peut pas, semble-t-il échapper. La question n’est plus tant de chercher à distinguer société et Etat que de distinguer les différentes sources des pouvoirs au sein de l’Etat. Et pourtant, il nous faudra bien, au concours, savoir distinguer société et Etat !