Peut-il exister des désirs naturels ?

Par rapport au sujet de Pondichéry que nous avons problématisé, il n’y avait que la notion de naturel à questionner. Supposons que le candidat ne puisse pas définir ce concept, il suffit de le définir négativement par rapport à celui de désir. Mais on oppose le naturel au culturel : ce serait ce qui est indépendamment d’une modification ou apport de la culture donc de ce que peut faire l’homme. Or, qu’est-ce qui caractérise l’homme si ce n’est la conscience comme faculté de se séparer, de nier tout ce qui est (donc la nature). Bref, si vous avez lu le corrigé que nous avions donné, la problématique était toute trouvée. On voit que l’enjeu de la question porte sur la nature de l’homme comme animal naturel (il aurait des besoins naturels) ou comme être culturel (s’il a une conscience, n’est-il pas, par essence, séparé le tout ce qui est naturel)? Le propre de l’homme n’est-il pas de détourner tout ce qui pourrait apparaître comme naturel pour le constituer comme désir culturel ?
Rappelons les conditions de possibilité sur lesquelles on pouvait jouer :

  • désir suppose manque non pas de quelque chose (ici ce quelque chose serait ce que l’on qualifie de naturel)
  • mais manque de on ne sait quoi, de non déterminé.
  • Pourquoi ? Parce que la source du manque n’est autre que la conscience qui nous sépare toujours de ce qui est (ici de ce que l’on pourrait dire de naturel qui n’est que ce qu’il est). S’il y a conscience, il y a toujours négation de ce qui est, donc du naturel ! D’où le problème posé. Mais, à cela, on pourrait rajouter que le désir renvoie au temps et aussi à autrui : mon désir est toujours désir de l’autre, ce qui veut dire à la fois qu’il porte sur autrui mais aussi que c’est l’autre qui produit en moi mon désir (voir le corrigé donné sur Pondichéry 2012). S’il y a autrui, il y a culture et donc négation de la nature : il ne peut pas y avoir de besoins naturels. Et l’on pourrait prolonger cela avec le désir qui est temps (voir encore corrigé cité) : si le désir est temps, il ne peut pas se contenter de ce qui est naturel, de ce qui est donné dans une sorte d’éternité.

Sur le fond, on pourrait jouer sur la confusion entre besoin et désir (voir encore le corrigé) et dans une partie montrer qu’il existe des désirs (en fait, comme on le verra plus loin, des besoins) naturels (comme le fait de manger, de se reproduire etc.). En 1943, dans une revue de psychologie, Abraham Maslow a publié un tableau des besoins hiérarchisés sous forme d’une pyramide.

 

Et l’on pourrait continuer en montrant que l’idéal du sage épicurien de revenir à des besoins nécessaires et naturels.

Mais si l’on en revient aux conditions de possibilité du désir comme manque, créé par la conscience, de … on ne sait quoi, la possibilité d’existence de désirs naturels auxquels tant d’élèves croient (avant d’avoir réfléchi) ne peut pas être soutenue. La nourriture, la sexualité ne répond pas à des besoins chez l’homme mais à des désirs qui nient toujours le naturel : comme l’écrit Marx, “La faim est la faim, mais la faim qui s’apaise avec de la viande cuite, que l’on mange avec un couteau et une fourchette, est autre qu’une faim qui avale la chair crue à l’aide des mains, des ongles et des dents.

Merleau-Ponty, montre qu’en un sens, tout est naturel chez l’homme mais qu’en même temps, rien ne l’est : ” il est impossible de superposer chez l’homme une couche de comportements que l’on appellerait “naturels” et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme, comme on voudra dire, en ce sens qu’il n’est pas un mot, pas une conduite, qui ne doive quelque chose à l’être simplement biologique et qui, en même temps, ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d’échappement et par un génie équivoque qui pourrait servir à définir l’homme“. On ne peut pas chez l’homme séparer distinctement les différentes couches, physiologiques, biologiques, psychologiques, sociologiques, historiques etc. qui constituent son être et on ne peut pas réduire ce comportement ni à son être biologique ni à ses déterminations culturelles.

Mais, l’idée que l’on peut garder ici, est qu’il n’existe pas de comportement alimentaire chez l’homme qui puisse être déterminé uniquement par sa détermination purement biologique. L’homme n’est pas un être de besoin mais de désir et il n’y a rien en lui de naturel. Et lorsque les épicuriens nous disent qu’il peut y avoir des désirs naturels, si l’on y prête attention, seul le sage peut véritablement en avoir et, surtout, on peut constater qu’il ne s’agit plus que de besoins (boire de l’eau seulement). Il ne peut exister des besoins naturels que pour des êtres qui ne sont pas humains (les animaux non cultivés (dénaturés) par leur maître) ou supra-humains (le sage qui veut être semblable aux dieux).

En conclusion, le seul travail de définition des concepts permettait de maîtriser un tel sujet