Voici les sujets du baccalauréat 2011 dans les différentes séries. Nous donnerons par ailleurs des indications plus précises sur les différents sujets. La première impression est que pour les 3 séries, les sujets sont équilibrés et permettent aux candidats d’effectuer un choix véritable.
Certes, pour la série L, le premier sujet est de nature épistémologique peu apprécié par la plupart des littéraires (et même des autres sections …). De plus, la notion d’hypothèse sera peut-être difficile à problématiser : une hypothèse par définition est ce qui est posé, sans être démontré et c’est à partir d’elle que l’on déduit des conséquences qui ne doivent pas contredire la thèse posée au début. Aussi le paradoxe de l’intitulé consiste à demander si l’on peut prouver ce qui, par définition, ne l’est pas ! Une hypothèse prouvée perd son caractère d’hypothèse ! En d’autres termes, par définition, l’hypothèse en tant qu’hypothèse n’a pas à être prouvée et quand elle l’est, c’est qu’elle a perdu son caractère d’hypothèse.
Le deuxième sujet correspond bien au programme et aux interrogations des élèves de la section littéraire. Il oblige à effectuer une réflexion de nature anthropologique qui engage à la fois la liberté et la vérité de l’homme sur lui-même.
Quant au texte de Nietzsche, il ne permettra guère à ceux qui choisissent le texte par défaut en croyant que la paraphrase suffira, d’obtenir une note correcte. Il faut être capable de comprendre le point de vue de Nietzsche par rapport à la morale dans son rapport à la société et à autrui : la question n’est pas, comme chez Platon, qu’est-ce que?, mais quel intérêt y a-t-il à se comporter de telle ou telle façon ?

Les sujets de la série ES ont pour intérêt de balayer des parties importantes du programme de telle sorte que, même en ayant fait des impasses, les élèves auront ici encore un choix réel. Le premeir sujet portant sur les rapports entre liberté et égalité est difficile car il risque d’entraîner le candidat sur une conception superficielle de la liberté, conçue par la plupart des élèves de pouvoir faire ce que l’on veut quand on veut en excluant autrui conçu comme une gêne à ma propre expression : ma liberté commence là où finit celle d’autrui … Mais si l’on part d’une telle exclusion de l’autre comme condition de possibilité de ma liberté, le sujet posé n’a aucun sens puisqu’il est impossible d’envisager un rapport à l’autre, qu’il soit égaliataire ou non. Il était donc nécessaire de partir d’une véritable définition de la liberté et non pas de ce que Marx a nommé justement la liberté bourgeoise. Sur le fond, ce sujet nous oblige à envisager la liberté en rapport avec autrui et, plus précisément, en rapport avec un certain statut d’autrui qui est l’égalité. Celle-ci viendrait-elle remettre en question le pouvoir d’agir lié à la liberté ? Mais peut-on limiter la liberté à ce pouvoir illimité d’agir que l’égalité avec autrui viendrait compromettre ? Bref, un sujet diffcile si l’on ne maîtrise pas et le concept de liberté et celui d’autrui et des rapports possibles avec lui.
Le deuxième sujet, plus classique dans sa formulation très proche de celle du premier sujet, part d’une constatation habituelle qui ferait que l’art est moins nécessaire la science ; il serait moins nécessaire de produire et de lire la Princesse de Clèves que de faire de la science. Toute la difficulté du sujet sera de trouver des raisons profondes qui puissent nourrir l’argumentation. De quelle nature serait la nécessité (ce qui ne peut pas ne pas être) de l’art et de la science ? Nécessaire en quoi, à qui ? Il y a là tout un éventail de variations possibles mais le candidiat risque de tomber dans la banalité.
Le texte de Sénèque se lit facilement et va attirer une foule d’esprits superficiels qui vont paraphraser le texte pour obtenir une note médiocre.

Les sujets de la série S sont également bien équilibrés quant aux notions du programme et on remarquera que le texte de Pascal comme le premier sujet concernent le concept de nature ! Le mensonge et l’hypocrisie font-ils partie de la nature de l’homme (Pascal) et quelle est donc la nature de l’homme si la culture le dénature ? L’élève paresseux mais intelligent pourrait utiliser le texte de Pascal pour traiter le premier sujet !
Le premier sujet présuppose qu’il existerait, préalablement à la culture, une nature de l’homme. Il y aurait une extériorité de la culture qui s’imposerait à cette nature. Mais le concept de nature peut être compris ici dans deux sens :
– la nature comme tout ce qui est, indépendamment d’une action humaine. Mais alors cela supposerait qu’il existe un homme en-deçà de la culture. Peut-on penser un homme qui soit un homme (et non pas un animal) avant la mise en place de la culture ?
– la nature comme essence, comme ce qui fait que l’homme est homme et non pas autre chose. La culture serait alors ce qui fait que l’homme perd son essence, une essence.
Et ce deuxième sens de nature comme essence pouvait être appliqué à la culture elle-même : si l’essence (la nature) de la culture est d’enlever l’essence (la nature) de (l’essence) de l’homme, il ne saurait y avoir d’essence, de nature de l’homme. Certes, on pourrait dire alors que la seule essence qui subsiste c’est celle de la culture mais comme l’essence de la culture est de ne jamais être la même, de ne jamais subsister … La nature de l’homme est de ne pas avoir de nature puisque sa nature est la culture.
Bien entendu, on peut penser, ce qui est acceptable si on ne traite pas que cela, qu’un grand nombre de candidats vont envisager le résultat que parfois, la culture peut produire sur le comportement des hommes. Par conditionnement culturel on pourrait produire dans une société ou chez des individus des comportements qui échappent aux normes habituelles de l’humanité. Mais dire que des hommes ont été dénaturés au sens d’animal dénaturé, présuppose que l’on puisse dire ce qu’est la nature habituelle de l’homme, ce qui n’est guère possible. Surtout si l’on définit l’essence de l’homme par sa participation à une culture.
Bref, un beau sujet sur l’essence de l’homme et sur l’essence de la culture.

Le deuxième sujet porte sur une partie du programme attendue pour les séries scientifiques : « Peut-on avoir raison contre les faits? ». Il nous semble, malgré sa simplicité apparente, très difficile car nous savons que les élèves (mais il n’y a pas qu’eux) ont beaucoup de mal à définir ce qu’est un fait (ou ce qu’est le réel). Tout va dépendre dans ce devoir de la richesse d’analyse du concept de fait. Qu’est-ce qu’un fait ? Ce concept a-t-il le même sens dans la vie courante, pour l’historien, pour le physicien, pour le croyant, le philosophe ? De plus ce sujet suppose une extériorité des faits par rapport à la raison mais peut-il exister des faits qui soient posés indépendamment de la raison ? Pour qu’un fait soit un fait (et non pas un délire ou une hallucination), il faut qu’il puisse présenter une certaine universalité ; universalité qui n’est autre que l’une des caractéristiques essentielles de la raison. Mais alors ce ne serait pas la raison qui s’opposerait aux faits mais des arguments rationnels contradictoires à propos de ce que la raison veut poser comme fait.

Le texte porte, à propos de la vérité, des rapports avec autrui, de la justice, sur l’essence de l’homme selon Pascal : « la racine naturelle » (l’essence) de l’homme n’est autre que « déguisement, mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l’égard des autres ».

Série L :

1er sujet : Peut-on prouver une hypothèse scientifique ?
2ème sujet : L’homme est-il condamné à se faire des illusions sur lui-même ?
3eme sujet : Expliquer le texte suivant
Nous disons bonnes les vertus d’un homme, non pas à cause des résultats qu’elles peuvent avoir pour lui, mais à cause des résultats qu’elles peuvent avoir pour nous et pour la société : dans l’éloge de la vertu on n’a jamais été bien « désintéressé », on n’a jamais été bien « altruiste » ! On aurait remarqué, sans cela, que les vertus (comme l’application, l’obéissance, la chasteté, la piété, la justice) sont généralement nuisibles à celui qui les possède, parce que ce sont des instincts qui règnent en lui trop violemment, trop avidement, et ne veulent à aucun prix se laisser contrebalancer raisonnablement par les autres. Quand on possède une vertu, une vraie vertu, une vertu complète (non une petite tendance à l’avoir), on est victime de cette vertu ! Et c’est précisément pourquoi le voisin en fait la louange ! On loue l’homme zélé bien que son zèle gâte sa vue, qu’il use la spontanéité et la fraîcheur de son esprit : on vante, on plaint le jeune homme qui s’est « tué à la tâche » parce qu’on pense : « Pour l’ensemble social, perdre la meilleure unité n’est encore qu’un petit sacrifice ! Il est fâcheux que ce sacrifice soit nécessaire ! Mais il serait bien plus fâcheux que l’individu pensât différemment, qu’il attachât plus d’importance à se conserver et à se développer qu’à travailler au service de tous ! » On ne plaint donc pas ce jeune homme à cause de lui-même, mais parce que sa mort a fait perdre à la société un instrument soumis, sans égards pour lui¬même, bref un « brave homme », comme on dit.
NIETZSCHE Le gai savoir
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Série ES :
1° sujet
La liberté est-elle menacée par l’égalité ?
2ème sujet
L’art est-il moins nécessaire que la science ?
3ème sujet
Expliquez le texte suivant
Si c’est l’intérêt et un vil calcul qui me rendent généreux, si je ne suis jamais serviable que pour obtenir en échange un service, je ne ferai pas de bien à celui qui part pour des pays situés sous d’autres cieux, éloignés du mien, qui s’absente pour toujours ; je ne donnerai pas à celui dont la santé est compromise au point qu’il ne lui reste aucun espoir de guérison ; je ne donnerai pas, si moi-même je sens décliner mes forces, car je n’ai plus le temps de rentrer dans mes avances. Et pourtant (ceci pour te prouver que la bienfaisance est une pratique désirable en soi) l’étranger qui tout à l’heure s’en est venu atterrir dans notre port et qui doit tout de suite repartir reçoit notre assistance ; à l’inconnu qui a fait naufrage nous donnons, pour qu’il soit rapatrié, un navire tout équipé. Il part, connaissant à peine l’auteur de son salut ; comme il ne doit jamais plus revenir à portée de nos regards il transfère sa dette aux dieux mêmes et il leur demande dans sa prière de reconnaître à sa place notre bienfait ; en attendant nous trouvons du charme au sentiment d’avoir fait un peu de bien dont nous ne recueillerons pas le fruit. Et lorsque nous sommes arrivés au terme de la vie, que nous réglons nos dispositions testamentaires, n’est-il pas vrai que nous répartissons des bienfaits dont il ne nous reviendra aucun profit ? Combien d’heures l’on y passe ! Que de temps on discute, seul avec soi-même, pour savoir combien donner et à qui ! Qu’importe, en vérité, de savoir à qui l’on veut donner puisqu’il ne nous en reviendra rien en aucun cas ? Pourtant, jamais nous ne donnons plus méticuleusement, jamais nos choix ne sont soumis à un contrôle plus rigoureux qu’à l’heure où, l’intérêt n’existant plus, seule l’idée du bien se dresse devant notre regard.

SENEQUE, Les bienfaits

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Série S :

1 er sujet La culture dénature-t-elle l’homme ?
2ème sujet : Peut-on avoir raison contre les faits ?
3ème sujet :
Expliquer le texte suivant
Chaque degré de bonne fortune qui nous élève dans le monde nous éloigne davantage de la vérité, parce qu’on appréhende plus de blesser ceux dont l’affection est plus utile et l’aversion plus dangereuse. Un prince sera la fable de toute l’Europe, et lui seul n’en saura rien. Je ne m’en étonne pas : dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu’ils se font haïr. Or, ceux qui vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts que celui du prince qu’ils servent ; et ainsi, ils n’ont garde de lui procurer un avantage en se nuisant à eux-mêmes.
Ce malheur est sans doute plus grand et plus ordinaire dans les plus grandes fortunes ; mais les moindres n’en sont pas exemptes, parce qu’il y a toujours quelque intérêt à se faire aimer des hommes. Ainsi la vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que s’entre-tromper et s’entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L’union qui est entre les hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie ; et peu d’amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu’il n’y est pas, quoiqu’il en parle alors sincèrement et sans passion.
L’homme n’est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi¬même et à l’égard des autres. Il ne veut donc pas qu’on lui dise la vérité. Il évite de la dire aux autres ; et toutes ces dispositions, si éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son coeur.

PASCAL, Pensées
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.