J’ai toutefois une question: comment concilier l’esthétique de Kant et la notion de « sentir » ?

comment concilier l’esthétique de Kant et la notion de « sentir » ?

Votre question permet de rappeler que le concept d’esthétique peut avoir au moins deux dimensions : il peut désigner la façon dont nous sommes sensibles à quelque chose (c’est ce sens que nous trouvons dans la « Critique de la raison pure » de Kant) mais il désigne qussi un corps de discipline qui se donne pour objet toutes sortes de réflexions sur les activités artistiques. Dans mon exposé je ne renvoie qu’au premier sens alors que dans la plupart de vos cours, les enseignants font appel au second sens.

Je pense que tous les professeurs vous ont parlé de Kant cette année et sa connaissance en est indispensable pour le concours. Comme mon exposé essaie de sortir des discours que vous avez assimilés, il est difficile de voir le lien entre le sentir et la conception de Kant. La raison essentielle provient du fait que si c’est bien de la beauté dont il s’agit et chez Kant et dans mon exposé, la façon de s’y rapporter n’est pas la même : pour aller à l’essentiel, on pourrait dire que Kant analyse essentiellement la question du jugement de goût alors que je décris, en dehors de la question du jugement sur le beau, l’expérience de la beauté. Supposons que vous vous rendiez à un concert pour écouter la Passion selon Saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach, et que (ce qui n’est ni mécanique ni obligatoire), vous soyiez saisis par la beauté de l’œuvre : c’est la rencontre de la beauté. Comment se produit cette rencontre? Quelles sont les modifications qui se produisent en moi ? Quel type de rapport au monde se met en place ? C’est cette expérience de la beauté que j’essaie de dire. Cela correspond à une description de nature phénoménologique comme Husserl, Heidegger puis Sartre et surtout Merleau-Ponty ont pu les faire. Elle vise à dire ce qui est, ce qui apparaît comme il apparaît. Avec Husserl qui emploie ce concept de phénomène en 1901, il désigne avant tout une méthode et non point un contenu: il s’agit, selon l’expression de Heidegger, élève de Husserl, « d’aller aux choses mêmes » (zu den Sachen selbst), c’est-à-dire de décrire les choses telles qu’elles apparaissent sans fausser leur saisie par des concepts ou des conceptions qui ne correspondent pas à leur être mais à nos présupposés. Il faut donc prendre les choses comme des phénomènes (d’où le concept de phénoménologie) c’est-à-dire comme ce qui se manifeste, ce qui se montre.