Peut-on dire que l’on perçoit la beauté?
Question : N’y a-t-il pas une différence entre percevoir un objet et sa beauté ? En fait, y a-t-il perception, ou bien sensation de la beauté ?
J’ai déjà répondu à cette question qui permet de mettre en évidence une qualité exigée dans une dissertation philosophique et qui est souvent négligée par les candidats obsédés par le désir de répondre sans tarder à la question posée, surtout si elle est formulée de façon interrogative. Cette qualité essentielle ne réside pas, comme le croient les candidats, dans la structure formelle de la dissertation (combien faut-il de parties etc. ?) ; elle se situe dans l’interrogation réelle (et non pas purement mécanique et seulement analytique) du sens de l’intitulé. C’est de cet examen que naît, non pas de l’extérieur, mais véritablement de l’intérieur, ce que l’on nomme problématique. Et si celle-ci est mise en place, le correcteur ne se soucie pas des détails formels, car il est pris par la force et à la progression de la pensée. En philosophie, comme dans la production d’une œuvre belle (sic), c’est le fond de la pensée qui produit la forme de la réflexion.
Souvent, la problématisation peut naître du simple questionnement de certains concepts qui figurent dans l’intitulé. C’est ici que nous devons faire la différence entre l’emploi commun d’un concept et son emploi réfléchi, philosophique. Pour prendre un exemple dans le domaine de la beauté et du plaisir que nous obtenons quand nous la contemplons, si la question porte sur la nature de la satisfaction que nous obtenons, en rester à un emploi naïf du concept de plaisir interdit de faire une réflexion approfondie. Cette satisfaction est de l’ordre de la joie, mieux, du bonheur. Certes, quand je ne vise pas à expliciter la nature de la satisfaction que me donne la beauté, je peux en rester à l’usage d’un vocabulaire général et, comme c’est le cas dans la conversation courante, non philosophique, me contenter du concept de plaisir, mais si le sujet porte sur cette question, et que je m’exprime en terme de plaisir, ma copie sera médiocre car ne répondant pas aux exigences d’une réflexion philosophique.
Venons-en à la beauté et à la première question. Nous disons habituellement que nous percevons un objet ou que nous percevons la beauté. L’un des buts de mon analyse est de vous permettre de produire une analyse plus fine, moins grossière, et de la saisie de la beauté et des expressions que nous employons à son propos. (C’est sur ce point que les copies, (en dehors de celles qui sont hors-sujet) se différencient au concours : sortir des concepts généraux pour parvenir à dire la singularité d’une question). Si nous prenons au sens fort les concepts présents dans cette question, nous ne pouvons percevoir que des objets et il est inexact de dire que nous percevons la beauté car celle-ci ne peut que se sentir. L’opposition sujet percevant-objet perçu ne peut que dissoudre et faire disparaître la beauté. Voilà la conclusion qui se déduit d’une analyse précise de ce que c’est que percevoir et de ce qu’est la beauté. Si l’on en reste à un usage habituel, non-réfléchi, non-philosophique des concepts, on continuera à dire que l’on perçoit la beauté … mais on sera en dehors de ce qui est exigé en philosophie.
Je répondrai à d’autres questions qui m’ont été posées dans quelques temps et j’essaierai d’achever la mise en ligne de l’analyse des rapports entre beauté et sentir.