Deuxième sujet : Que vaut l’opposition du travail manuel et du travail intellectuel ?
Voilà un sujet petit, limité, sans grand intérêt philosophique pour un élève de terminale (car on peut toujours trouver un intérêt philosophique même en ce qui n’en a guère), qui prête aux banalités les plus grandes. Le résultat est là ! Quasiment personne n’a pris ce sujet, ce qui montre que, et la distinction entre ces deux formes de travail et le sujet proprement dit, ne valent rien pour un examen comme le baccalauréat! (Après rencontre avec mes collègues, je m’aperçois que j’ai été un peu méchant!) On se contentera donc de ne faire que quelques remarques rapides sur ce non-sujet.
Il ne faudrait pas oublier l’essentiel, à savoir, définir le travail, donner son essence que l’on retrouve dans ces deux formes. (Je replace par un travail essentiellement manuel (copier-coller, mais qui demande une certaine (élémentaire il est vrai), maîtrise intellectuelle de l’informatique) ce que j’ai mis dans le corrigé sur le travail des ES !)
La condition majeure pour qu’il y ait travail, est la présence d’une production qui peut être de nature matérielle et/ou intellectuelle. Un élément de la problématique devient : le fait que la production, nécessaire pour qu’il y ait travail soit le fruit d’une activité manuelle ou intellectuelle change-t-il la nature du travail ?
On placera ici en fonction du sujet, la deuxième condition de possibilité du travail, à savoir, une part de contrainte. S’il n’y a pas contrainte, il y a loisir. Nouvelle problématique : le fait que l’activité productrice soit manuelle ou intellectuelle change-t-elle la nature même de la contrainte ? Certes, cette contrainte prend des formes différentes puisque dans un cas, elle toucherait essentiellement le corps et dans l’autre cas l’esprit mais cela aboutit-il à une différence ontologique digne d’intérêt ? Enfin, la production contrainte nécessite une dernière condition de possibilité pour être un travail, à savoir, être l’expression d’une pensée, d’une raison. On peut se demander, à la suite d’Aristote et de Marx, si l’abeille qui construit des alvéoles à la façon d’un architecte ou l’araignée qui tisse une toile à la manière d’un tisserand, travaille. La réponse est négative car l’activité de travail exige que la production soit pensée, réfléchie. En d’autres termes, avant de produire un objet quelconque, le travailleur doit avoir dans son esprit, la forme qu’il veut imposer à la matière, ce qui suppose une pensée, une conscience, une raison. C’est ce troisième élément constitutif du travail qui le plus important pour notre question : faut-il penser, pour que la distinction entre travail manuel et intellectuel soit signifiante, qu’il n’y a pas de conscience, de réflexion dans la première forme de travail ? Au contraire, si l’on accorde que le travail manuel est un travail, comment ne pourrait-il pas manifester une part de pensée, de réflexion puisque la pensée fait partie de son essence ?
Que pouvait-on répondre sur le fond ? Que cette opposition a une valeur essentiellement sociologique dans la mesure où elle correspond à la valorisation ou à la dévalorisation de ces formes de travail. Elle est un marqueur social différenciateur qui a des conséquences salariales importantes. Elle indique également la pénibilité plus grande concernant le corps pour le travail manuel pour lequel on pourrait en déduire que la contrainte est maximale : Marx fait l’éloge de la machine qui, dans l’agriculture, éloigne le corps de l’activité pénible et manuelle accomplie sur la terre : le travail manuel serait une activité dans laquelle le corps joue essentiellement une fonction énergétique alors que le travail intellectuel n’aurait affaire qu’au traitement de l’information. Enfin, sur le plan anthropologique, elle correspondrait à la dualité constitutive de l’homme de son corps et de son esprit. De même que dans la République Platon distinguait les différentes fonctions à remplir dans la Cité en tenant compte des différentes parties de l’âme, l’opposition entre le travail manuel et intellectuel permettrait de justifier une inégalité sociale des fonctions fondées sur des inégalités de capacité essentiellement intellectuelles. Pourquoi cela ? Car le travail manuel serait dévalorisée dans la mesure où il est lié au corps, lui-même dévalorisé. C’est le dualisme anthropologique qui, dans son mépris du corps, entraînerait la valorisation de cette opposition et la dévalorisation du travail manuel.
Mais il serait aisé de montrer que cette opposition n’a guère de valeur. On pourrait faire remarquer que la critique que les Grecs de l’activité de travail (ce mot de travail n’existe pas dans cette langue) ne distingue pas entre le travail manuel et intellectuel. Le rejet s’applique à ces deux formes d’activité. L’homme libre ne travaille pas : il rejette toute poiésis (transformation d’une matière extérieure à soi) au profit de la praxis (auto-transformation de soi) qui n’est pas un travail. Ce qui revient à dire que pour eux, les deux formes de travaux ont la même nature et que cette opposition est superficielle et insignifiante. De plus, l’une des conditions de possibilité du travail est que l’activité productive faite sous la contrainte soit la manifestation d’une pensée, d’une réflexion, d’une raison. A cela, on pourrait objecter que dans un grand nombre de travaux manuels on ne demande pas au travailleur de penser ; on lui interdit même souvent de le faire dans le cas de tâches qui ont été pensées pour lui. Mais cette objection n’a guère de valeur car dans ce cas, on parlera de travail aliénant. De plus, l’aliénation n’est pas le privilège du travail manuel puisqu’il peut toucher aussi bien le travail intellectuel : il existe désormais, dans ce dernier domaine, des travaux qui, par leur aspect mécanique et répétitif, produisent des aliénations. Et pour en revenir à la nécessité d’une pensée, d’une réflexion dans l’activité de travail, il serait aisé de montrer que, en dehors des tâches aliénantes, tous les travaux nécessitent une pensée, une conscience bref présentent un caractère intellectuel. C’est d’ailleurs ce qui permet de distinguer l’activité instinctive animale (abeille, fourmi) d’une activité humaine de travail : il y a une intelligence déposée et en acte dans le corps et la main du travailleur manuel qui fait qu’il n’est pas absurde de dire que la main de l’artisan pense.
Ainsi l’opposition entre l’activité manuelle et intellectuelle correspond plus à un moment historique qu’à une caractéristique ontologique. Et à mesure que la technique progresse, elle exige d’incorporer de plus en plus de pensée sous la forme essentielle des mathématiques déposées dans les machines, ce qui fait que, dans l’acte de travail, le corps du travailleur ne joue plus le rôle de force de travail.
En conclusion, la valeur de l’opposition entre ces deux formes de travail ne porte pas tant sur le travail lui-même que sur les préjugés sociologiques et anthropologiques dont elle est le révélateur. Elle renvoie à la fois au mépris de ce qui est de l’ordre du matériel, du corps, de la technique et, à la fois, à la valorisation de l’esprit désincarné. Mais son erreur consiste à se tromper quant à l’essence même de l’homme qui, dans le travail tel qu’il devrait être, ne peut pas dissocier son corps de son intelligence. Au dualisme ontologique que cette opposition suppose, il faut opposer l’unité de l’homme dans la totalité de ses actions.
Premier sujet : Le désir peut-il se satisfaire de la réalité ?
Ce sujet semble classique et facile à faire mais il comporte deux notions qui se révèlent très difficiles à l’usage : tout d’abord le concept de désir qui figure explicitement au programme mais dont peu d’élèves possèdent véritablement les conditions de possibilité (on confond souvent le manque du besoin et le manque du désir) et ensuite le concept de réalité qui, décidément, est à la mode dans les sujets du bac 2007 puisqu’il figure dans un sujet de la série L ; mais qu’est-ce que la réalité ? Il est indispensable de s’interroger sur le sens que l’on peut accorder à ce concept flou. De plus, on peut s’attendre à ce qu’un certain nombre de candidats n’aille pas jusqu’au bout de leur lecture du sujet et se contente de le réduire à un intitulé plus classique, à savoir, le désir peut-il être satisfait, oubliant par là que la question porte sur le rapport du désir et de la réalité. Ici, l’intitulé livre, en quelque sorte une réponse qui serait un « objet » nommé réalité.
Mais le désir est-il de l’ordre d’un quelque chose qui serait, soit dans la réalité, soit la réalité elle-même ? Pour pouvoir se satisfaire de la réalité (dans les deux sens que nous verrons plus bas), encore faut-il, d’une façon quelconque, qu’il vise celle-ci. L’étymologie même peut-elle nous servir de guide ? Désir vient du latin desidus ce qui, littéralement, signifie soit la nostalgie de l’étoile soit l’absence de l’étoile. Faut-il considérer cette étoile perdue comme étant la réalité que nous chercherions à (re)trouver ? Mais cette nostalgie ou cette absence ne se rapporte-t-elle pas à une étoile imaginaire, produit de nos fantasmes, sorte de paradis perdu que nous n’avons jamais connu ? Auquel cas l’expression « se satisfaire de la réalité » aurait-elle un sens ?
Il est vrai que l’expression « se satisfaire de la réalité » peut prendre au moins deux significations :
– la première, superficielle, consiste à se demander, comme dans l’expression « il se contente de peu », si la réalité est un domaine dont le désir peut se contenter ; le désir pourrait (et non pas devrait si le verbe pouvoir a un sens) se limiter à la réalité dans une sorte de résignation ; cette façon de poser le sujet présuppose qu’il pourrait ne pas le faire. Est-ce alors en raison de sa nature ?
-Mais la seconde interprétation, plus intéressante, consiste à envisager la possibilité pour la réalité d’être en mesure de combler (du latin satis qui veut dire assez), de mettre fin, au manque du désir.
Le sujet oblige donc à se demander si l’objet nommé réalité serait à même de mettre fin au désir. Mais le désir est-il de l’ordre de l’objet ? Est-il véritablement objectivable et peut-il prendre fin par la rencontre de l’objet nommé réalité ?
Nous avons déjà montré que l’intitulé de la question présupposait une rencontre possible entre le désir et la réalité en nous demandant si le désir visait cette réalité. Cette question ne prend de sens que si l’on analyse la notion de désir. Quelles sont les conditions de possibilité du désir? (à suivre…)