En politique, la parole a, ou devrait avoir, une valeur performative.
Nous commençons à nous apercevoir que, contrairement à ce que pense souvent l’opinion commune, la réflexion sur le langage et le sens des mots est essentielle, particulièrement dans le domaine qui concerne l’organisation de la vie commune, à savoir, le politique. Car le politique ne renvoie pas seulement à un domaine de réflexion théorique, abstrait, purement spéculatif ; il est intrinsèquement lié au domaine de l’action. Il en est du politique comme il en est de la liberté : tous deux nécessitent d’articuler une pensée et une action. La parole politique a une dimension pragmatique essentielle puisqu’elle vise à instaurer, maintenir, un état de choses qui régule la vie collective. En politique, la parole fait la loi et on attend de l’homme politique qui énonce un programme qu’il transforme la parole en acte une fois qu’il détient le pouvoir qui n’est autre que la capacité de faire. Le reproche fréquent que l’opinion commune fait à l’égard des politiques, c’est de ne pas articuler parole et action, et que parole énoncée, lois votées et proclamées, ne soient pas transformées en action. Mais, comme on le voit dans le cas de Georges Bush, celui qui est au pouvoir, peut, en nommant d’une certaine façon un événement donné (le 11 septembre), enclencher des actions (la guerre) lourdes de conséquence. La parole politique a donc une certaine valeur performative: dire c’est faire.
La perversion de la parole.
Mais, dès l’instauration de la démocratie en Grèce, le dire politique a été dévalué par ceux (les sophistes) qui l’ont désindexé, à la fois, de la vérité (car ce qui compte pour eux, c’est uniquement de l’emporter à l’aide de la rhétorique) et de sa valeur performative. Plus rigoureusement, il faudrait dire qu’ils sont parvenus à préserver la valeur performative du langage en apprenant aux hommes qui les payaient à prononcer les paroles qui leur permettraient d’acquérir le pouvoir. On retrouve aujourd’hui les mêmes mécanismes dans la façon de faire chez Donald Trump dans sa campagne électorale qui parvient à faire croire que ses paroles sont un faire : « Contrairement à une idée répandue, écrit Corine Lesnes, dans le journal Le Monde, il ne joue pas sur la peur. Ou, s’il le fait, c’est pour enchaîner tout de suite sur l’action, selon une technique bien connue du marketing, qui vise à l’« empowerment » (la prise de contrôle). « Il évoque les problèmes d’une manière qui provoque la colère dans son auditoire plutôt que la peur », explique Jon Morris, professeur de publicité à l’université de Floride. A une époque d’impuissance généralisée, il redonne aux gens « l’impression de contrôle ». Trump, c’est l’entraîneur qui électrise l’équipe avant la mêlée. « Nous sommes tous plus intelligents que ces crânes d’œufs qu’ils appellent l’élite. » Les ennemis (l’organisation État islamique, Ted Cruz, Hillary Clinton), qu’est-ce qu’on va leur mettre : « La tête va leur tourner. »
Ce faisant, sophistes et populistes contemporains, dévalorisent et la parole et le politique. Mais dans un régime démocratique, pour que celle-ci garde son caractère, il est essentiel que les mots employés visent à dire une vérité. Ne pas suivre cet impératif éthique constitutif du politique démocratique c’est déconstruire et l’idée de vérité et celle de démocratie. Mal nommer volontairement les choses, c’est donner raison à Nietzsche qui déconstruit l’idée de vérité en essayant de montrer les forces, les pulsions, qui s’emparent d’elle. La question n’est plus alors de savoir si ce que l’on dit est vrai ou faux mais de chercher ce qui fait dire à celui qui parle ce qu’il dit.