Expliquer le texte suivant :
Quelle est la fonction primitive du langage ? C’est d’établir une communication en vue d’une coopération. Le langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le premier cas, c’est l’appel à l’action immédiate ; dans le second, c’est le signalement de la chose ou de quelqu’une de ses propriétés, en vue de l’action future. Mais, dans un cas comme dans l’autre, la fonction est industrielle, commerciale, militaire, toujours sociale. Les choses que le langage décrit ont été découpées dans le réel par la perception humaine en vue du travail humain. Les propriétés qu’il signale sont les appels de la chose à une activité humaine. Le mot sera donc le même, comme nous le disions, quand la démarche suggérée sera la même, et notre esprit attribuera à des choses diverses la même propriété, se les représentera de la même manière, les groupera enfin sous la même idée, partout où la suggestion du même parti à trier, de la même action à faire, suscitera le même mot. Telles sont les origines du mot et de l’idée. L’un et l’autre ont sans doute évolué. Ils ne sont plus aussi grossièrement utilitaires. Ils restent utilitaires cependant.
BERGSON « La pensée et le mouvant »
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Voici un texte de Bergson qui ne peut pas surprendre un candidat qui s’est préparé normalement pour le baccalauréat : il est classique et est « tombé » plusieurs fois, soit sous la même forme soit dans un découpage légèrement différent, au baccalauréat.
Le danger amplifié dans les textes de Bergson, c’est la paraphrase. Le philosophe écrit si clairement que l’élève ne voit pas de problème et ne peut le plus souvent qu’essayer de paraphraser le texte original ! Pour l’éviter, il est essentiel, comme pour tous les textes, de bien trouver le problème posé par Bergson.

Or il ne semble pas difficile de trouver et la question et le problème dont il est ici question : Bergson demande : « Quelle est la fonction primitive du langage ? » et on peut vérifier en lisant la dernière phrase qu’il répond bien à la question qu’il pose au début de l’extrait proposé : le mot et l’idée, écrit-il, « restent utilitaires cependant ». En d’autres termes, Bergson ne cherche pas, semble-t-il, à nous dire quelle est l’essence du langage mais quelle est sa fonction : à quoi peut-il servir ? Quelle est son utilité ? La réponse est simple et visible tout au long du texte par la répétition du même concept : l’action. Et puisqu’en grec, action se dit pragma, on peut dire que Bergson présente ici une conception pragmatique du langage. Pour bien expliquer ce texte, il peut être intéressant de se demander si l’on peut avoir une autre conception de la fonction essentielle du langage : celle-ci peut-elle être autre chose que l’utilité pragmatique ?
Cependant, dans sa première phrase Bergson ne dit pas qu’il est à la recherche de la fonction du langage mais de la fonction primitive. Comment comprendre cet adjectif ? Ne présente-t-il pas une ambiguïté importante ? En effet primitif peut vouloir simplement renvoyer au commencement, à l’origine de l’instauration du langage, auquel cas, on pourrait penser que Bergson se sert de l’histoire du langage pour affirmer sa thèse. D’ailleurs, il utilise lui-même à la fin de cet extrait les concepts d’origine et d’évolution.
Et pourtant, on sent bien qu’à travers ce point de vue historique, Bergson accorde au concept de primitif une signification plus spécifiquement philosophique, à savoir, celle de fondement. Ainsi parti d’une question qui portait sur la fonction essentielle du langage, Bergson en arrive à donner ce qui constitue pour lui l’essence du langage, sa caractéristique ontologique.