1° La conscience de l’individu n’est-elle que le reflet de la société à laquelle il appartient ?

Sujet intéressant pour des élèves de cette série qui ont l’occasion d’étudier des textes de sociologues ou d’économistes qui montrent l’existence de déterminismes sur la conscience des individus.
L’intitulé pose le paradoxe suivant : pour qu’il y ait conscience, il faut qu’il y ait savoir qui se se sait savoir donc distance, séparation, réflexion (capacité de s’éloigner de soi pour penser son soi). Or si cette conscience n’est qu’un reflet de ce qui n’est pas elle (la société), elle se détruit comme conscience.

L’enjeu (la conséquence) de ce sujet porte sur la liberté : si la conscience n’a aucune distance, aucune autonomie par rapport aux déterminismes de la société, comment pourrait-il exister pour elle à la fois une volonté et une capacité effective de choisir?

L’élève de ES dispose de matériaux nombreux pour montrer l’existence de déterminismes forts entre la société et sa conscience. par exemple Durkheim montre que dans le suicide (acte qui engage l’acte d’un individu) il existe des déterminismes venant des saisons, des métiers, des régions habitées, des croyances religieuses (protestantisme, catholicisme). Et la pensée de Marx pourrait être ici convoquée pour aller dans un sens encore plus fort de la conscience individuelle (et collective) comme simple reflet : « Pas plus qu’on ne juge un individu sur l’idée qu’il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de bouleversement sur sa conscience de soi ; il faut au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et les rapports de production » (« Préface à la critique de l’économie politique »). L’illusion de la conscience se manifeste pour Marx et Engels dans ce qu’il nomme les processus idéologiques. « L’idéologie est un processus que le soi-disant penseur accomplit bien avec sa conscience, mais avec une conscience fausse. Les forces matérielles véritables qui le mènent lui restent inconnues, sinon ce ne serait point un processus idéologique ». (Engels : lettre à Franz Mehring du 14/07/1893). Dans l’idéologie, le sujet a bien des états de conscience mais ce qui passe par la conscience n’a pas nécessairement une origine dans cette conscience. Car il ignore les causes économiques, sociales qui l’entraînent à penser ceci ou cela. « De ce fait, la morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l’idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, perdent aussitôt toute apparence d’autonomie » (L’idéologie allemande). Cette absence d’autonomie de la conscience est très poussée dans les premières oeuvres de Marx et de Engels de telle sorte qu’ils en viennent à affirmer que « même les fantasmagories du cerveau humain ne sont que des sublimations de la vie matérielle ». Le fondement de leur doctrine, le matérialisme historique réside dans la thèse suivante : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience » (Préface à la critique de l’économie politique).

Cependant, on pourrait montrer que plus les sciences sociales se développent, mieux on connaît les déterminismes que produit une société, plus l’homme développe la connaissance des causes qui pèsent sur lui et donc, plus sa conscience individuelle est à même de connaître ses causes et de pouvoir faire un choix parmi elles. La liberté consiste à faire des choix rationnels parmi les déterminismes qui pèsent sur nous.

On trouve même chez Marx l’idée que notre conscience n’est pas le simple reflet de notre société et c’est la capacité d’être touché par des œuvres d’art qui n’appartiennent plus ou pas à notre culture qui le montre le mieux. L’art à la fois comme création ou comme contemplation montre que la conscience est transcendante à tout conditionnement.

Et pour finir sur une note d’actualité (à exclure de la copie!), il n’y a que les imbéciles qui se croient savants comme Emmanuel Todd qui affirment être capables de déduire (de façon absurde bien entendu) d’une carte de pratique ou de non pratique religieuse de région ce que pensaient les individus de cette région dans leur propre conscience lorsqu’ils vont manifester. Non seulement c’est absurde sur le plan scientifique mais cela n’a pas de sens car la conscience individuelle n’est pas le simple reflet des déterminismes sociaux.

2° L’artiste donne-t-il quelque chose à comprendre ?

sujet très proche de celui tombé en série S (voir ce que l’on en dit dans cette série). Tout se joue sur le mot comprendre et sur les sens du mot sens.

Comprendre signifie prendre avec, ce qui implique une séparation, une distance. Or l’œuvre d’art n’implique aucune distance si on la saisit en tant qu’œuvre d’art et non pas comme un objet culturel parmi d’autres. L’œuvre d’art ne se comprend pas mais elle se sent.

3° Expliquez le texte suivant

Dans un État démocratique, des ordres absurdes ne sont guère à craindre, car il est presque impossible que la majorité d’une grande assemblée se mette d’accord sur une seule et même absurdité. Cela est peu à craindre, également, à raison du fondement et de la fin de la démocratie, qui n’est autre que de soustraire les hommes à la domination absurde de l’appétit (1) et à les maintenir, autant qu’il est possible, dans les limites de la raison, pour qu’ils vivent dans la concorde et dans la paix. Ôté ce fondement, tout l’édifice s’écroule aisément. Au seul souverain, donc, il appartient d’y pourvoir ; aux sujets, il appartient d’exécuter ses commandements et de ne reconnaître comme droit que ce que le souverain déclare être le droit. Peut-être pensera-t-on que, par ce principe, nous faisons des sujets des esclaves ; on pense en effet que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon son caprice. Cela cependant n’est pas absolument vrai ; car en réalité, celui qui est captif de son plaisir, incapable de voir et de faire ce qui lui est utile, est le plus grand des esclaves, et seul est libre celui qui vit, de toute son âme, sous la seule conduite de la raison. »

SPINOZA, Traité théologico-politique (1670)
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. 11 faut et il suffit que l’explication rende compte, parla compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
(1) «Appétit» : ce qui nous porte à désirer quelque chose.

Texte qui comporte le danger de contre-sens sur le concept de souverain dans lequel on peut penser qu’un grand nombre de candidats vont tomber s’ils ne tiennent pas compte du fait que Spinoza parle ici de démocratie dans laquelle c’est une « grande assemblée » (et non un monarque) qui est souverain donc qui a le pouvoir.
Quel est le cœur du sujet ? Certes, on voit que Spinoza parle de politique et plus précisément de ce qu’est un État démocratique mais la vraie question porte sur la nature de la liberté. Au concept d’absurdité qui se trouve au début du texte correspond le concept de raison placé à la fin.
Si l’on va à l’essentiel on pourrait se demander : quelles sont les conditions de possibilité d’un État démocratique :
– que le peuple (sous des modalités diverses) soit le souverain, donc ait le pouvoir
– que ce peuple soit libre de faire ce qu’il veut
– que ce peuple soit, dans ses décisions, déterminé par la raison

Et c’est ici que l’explication devrait expliquer la conception de la liberté selon Spinoza. Il rejette l’idée commune (et notamment chez les élèves !) qu’être libre c’est pouvoir faire ce que l’on désire quand on le désire. Mais si chacun ne fait que suivre son désir, il est tout d’abord esclave de ses propres désirs et surtout une guerre permanente entre les désirs des hommes ne peut qu’apparaître. Sur ce point Spinoza et Hobbes se rejoignent pour décrire un état de nature dans lequel on est dans une insécurité permanente qui interdit toute « concorde et paix ». Selon Spinoza, chaque individu essaie d’y « persévérer dans son être dans la mesure de l’effort qui lui est propre » (ce que Spinoza nomme le conatus) en utilisant son désir et sa puissance. Il suit alors les règles de la nature selon lesquelles le gros poisson mange le petit. Il n’y a ni bien ni mal à cela, ni justice ni injustice. La nature donne à chacun « un droit [pris au sens faible] sur toutes choses » (Hobbes, Du citoyen, chap.1 & 10.), « un droit illimité sur ce qui le tente et qu’il peut atteindre » (Rousseau).
Mais la vraie liberté n’est pas soumission aux désirs mais à l’universalité de la raison. Et il n’y a de démocratie que si les hommes qui la constituent se déterminent selon la raison, ce qui interdit l’apparition « des ordres absurdes » en son sein. cqfd.