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Que devons-nous à l’État ?

Ce sujet oblige à réfléchir sur les fonctions de l’État mais en lui joignant une dimension à la fois éthique et morale car figure le concept de devoir qui sera certainement négligé par la plupart des candidats. Pourtant son analyse permettrait de faire naître une ambiguïté car on peut d’abord comprendre que l’on nous demande en quoi, sujets de l’État, nous sommes débiteurs envers lui ? Quelle dette avons-nous contractée envers lui et qu’il nous faut payer ? En ces temps d’individualisme radical, la question n’est pas aussi absurde qu’on pourrait le croire. Et l’une des raisons essentielles pour laquelle les sociétés primitives n’ont pas d’État, c’est qu’elles n’acceptent pas qu’il y ait, en leur sein, une inégalité entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent? Dès qu’il y a État, même démocratique, certains hommes sont, de fait, débiteurs envers d’autres ? C’est ici que l’on pourrait inscrire dans une partie critique du devoir la critique faite par les anarchistes de toute forme d’Etat.

Mais on peut aussi comprendre que l’État, par sa mise en place et son fonctionnement, nous apporte des choses, des valeurs : la réflexion porte alors sur les finalités essentielles que l’État est à même de remplir. Le devoir pourrait alors s’interroger sur les deux valeurs de plus antagonistes aujourd’hui que sont la sécurité et la liberté. Et là, nous tombons sur un terrain facile à parcourir pour un élève qui a étudié son Spinoza, son Hobbes, son Rousseau : le choix est grand. Comme souvent, la réponse à la question dépend de l’anthropologie c’est-à-dire de la conception que l’on se fait de l’homme : si l’on estime que l’homme est un être méchant par nature (Hobbes) et qu’il est toujours en sursis de perdre la vie, on comprend que l’on doive à l’État la sécurité. Mais si l’on estime que l’essence de l’homme est la raison et son exercice libre, ce qu’on doit à l’État c’est la garantie de la liberté qu’il instaure : voir Spinoza ou Rousseau. Pour ce dernier, ce n’est que par l’instauration de l’État que l’homme peut véritablement être libre.

Bien entendu, on peut trouver la problématisation dans l’analyse du concept d’Etat :

Pour qu’il y a ait Etat il faut :
– 1) l’existence d’un territoire ; sans cela, il n’y a qu’une nation (une nation juive et palestinienne ont existé avant l’instauration d’un Etat israélien et palestinien).
– 2) un ensemble d’institutions gouvernementale, juridique, politique, économique, culturelle, militaire qui exerce son pouvoir de régulation. Cet ensemble d’institutions renvoient à ce que l’on peut nommer les différentes formes de pou¬voir. On trouve ici le sens originel du mot Etat. C’est un terme savant de la po¬litique européenne au Moyen age.
– 3) que les hommes acceptent d’obéir à une autorité, plus précisément à un pouvoir; il faut que certains obéissent et que d’autres commandent, ce qui est constitutif d’une inégalité. Nous trouvons ici l’un des points essentiels du politique qui, selon l’expression de Paul Ricœur, peut être défini comme le « vouloir vivre ensemble qui se transfère sur un noyau institutionnel plus fort que chacun« . [Dans les sociétés primitives telles que les décrit Pierre Clastres, c’est la volonté de ne pas être débiteurs, d’être libres, d’être dans l’égalité de tous, qui détermine les hommes à refuser la structure de l’Etat. Si l’on doit, par l’Etat, mettre en place une inégalité qui fait que certains commandent et d’autres obéissent, même par choix libre, on devient débiteur à jamais d’une structure oppressante. Telle est la vison des sociétés primitives selon Pierre Clastres.]

Ce sont les poins 2 et 3 qui peuvent le mieux permettre de s’interroger sur le rapport du devoir et de l’État.