La science se limite-t-elle à constater les faits?

Les élèves de série L ne goûtent guère ce qui est de l’ordre de l’épistémologie mais on leur propose ici un sujet qui ne devrait pas les faire fuir car ils ne peuvent pas ne pas avoir, durant leur année, avoir entendu parler de Hume et de Kant. Et il est dommage qu’ils n’aient pas pu regarder le sujet tombé en série S car il leur aurait fourni une grande partie de leur réponse ! (voir ici).

Quelle est l’essence de la science ou quelles sont les conditions qui rendent possible la science ?

un quelque chose, un objet, de nature diverse selon les sciences. L’objet mathématique est purement pensé, abstrait mais il n’en est pas de même en physique, en biologie, ou dans les sciences de l’homme

un jugement sur ce quelque chose : on voit déjà un problème : juger, est-ce seulement constater des faits ? (voir le texte de Bergson)

– la valeur de ce jugement doit être démontrée : constater un fait suffit-il pour affirmer que l’on a démontré la valeur de vérité de ce fait ?

– la démonstration doit faire appel à la raison et pas seulement à une simple vison, affirmation : constater, est-ce faire intervenir sa raison ou au contraire s’interdire de faire appel à elle ?

– la science est un savoir (scio = je sais) qui articule le singulier sur l’universel (grâce à la raison) : un fait est de l’ordre du singulier non-universalisable par lui-même ; si la science se contentait de constater du singulier, elle ne pourrait pas atteindre l’universel qui est la condition essentielle de la validité de son savoir. Si la la science n’a à faire qu’à des faits, ne se détruit-elle pas comme science?

On voit que la seule analyse des concepts a permis de problématiser l’intitulé. Et pourtant nous n’avons même pas prêté attention au concept de fait. Or on peut comprendre par là, ce qui est établi ce qui est arrivé. Mais ce mot vient de facere qui veut dire faire ; en d’autres termes, ce que nous posons comme une donnée, n’est autre que le résultat d’un processus de production. La science ne ferait-elle pas que constater ce qu’elle à elle-même produit ?

La réponse est aisée : après avoir repris la conception empiriste dans laquelle la science ne ferait que constater des faits, on verrait, avec Hume, que cette thèse rend impossible la mise en place d’une science au sens où nous l’avons dit. L’universalité du savoir scientifique contraint à rompre avec le particulier ou le singulier pour, grâce à son abstraction, l’articuler sur l’universel. Et non seulement la science ne se contente pas de constater les faits mais elle les produit car la science n’a rien à voir avec la pure singularité de ce qui est perçu dans l’expérience.