Thierry Henry parlant du footballeur Mbappé : «J’aime bien le regarder jouer parce qu’il pense. On ne parle jamais du cerveau d’un joueur, ça m’énerve. Quand je le regarde dribbler, il pense

Petit divertissement sportivo-philosophique sur le corps

Avant la reprise scolaire qui va entraîner chez élèves et étudiants une mise au pas du corps bien différente de celle des vacances, il peut être amusant et peut-être instructif, pour ceux qui ont regardé les mondiaux d’athlétisme et/ou qui s’intéressent aux transferts de marchandises nouvelles qui portent le nom de footballeurs, de réfléchir sur ce que le corps des athlètes peut nous apprendre … sur notre corps mais aussi sur notre esprit et leurs relations. Et s’exprimer comme on vient de le faire, c’est déjà poser un dualisme corps-esprit dont il est difficile de s’abstraire. Mais, comme spectateur placé dans un stade ou devant un téléviseur, que vois-je de ces athlètes si ce n’est que leur corps ? « Si par hasard je […] regardais d’une fenêtre des hommes qui  passent dans la rue » se demande le spectateur Descartes, « que vois-je de cette fenêtre,  sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres  ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts ? ». Nous ne nous intéresserons pas ici à une question intéressante qui est celle de la possibilité aujourd’hui de construire des automates (tant célébrés par Descartes) qui seraient capables de simuler la course d’un athlète et rendraient impossible pour un spectateur de distinguer l’homme de la machine. Ce faisant, le moyen avancé par Descartes, à savoir le jugement,  pour distinguer l’homme et de l’automate serait caduc : «Mais  je juge que ce sont de vrais hommes et ainsi je comprends, par  la seule puissance de juger qui réside en mon esprit, ce  que je croyais voir de mes yeux

L’athlète est-il un homme ?

Car Descartes avait précisément posé cette question (voir ici le commentaire de ce texte) : plaçons-nous d’un point de vue extérieur aux êtres (automates, animaux, hommes présumés, ici athlètes perçus) que nous rencontrons. Nous saisissons les qualités sensibles de leurs apparences corporelles mais qu’est-ce qui me permet de les distinguer, sachant que les qualités sensibles que je perçois sont facilement substituables («spectres», «hommes feints qui ne se remuent que par ressorts») ? Seraient-ce les sons que ces corps peuvent émettre ? Non point puisque machines, animaux, hommes peuvent tous émettre des sons. Et la question est encore plus troublante pour les athlètes qui, à part quelques joueurs de tennis impudiques, n’émettent pas de sons lors de leur performance. Dira-t-on que ces mêmes athlètes se manifestent à nos yeux comme humains lorsqu’ils célèbrent leur prestation par des cris de joie ou de tristesse ? Ce serait confondre le cri inarticulé et la parole articulée et oublier que ces cris ne sont que la pure expression de passions corporelles que l’on trouve aussi bien chez les animaux : «ces paroles ou signes, écrit Descartes, ne se doivent rapporter à aucune passion pour exclure non seulement les cris de joie ou de tristesse, et semblables, mais aussi tout ce qui peut être enseigné par artifice aux animaux ; car si on apprend à une pie à dire bonjour à sa maî­tresse, lorsqu’elle la voit arriver, ce ne peut être qu’en faisant que la pro­lation de cette parole devienne le mouvement de quelqu’une de ses passions; à savoir ce sera un mouvement de l’espérance qu’elle a de manger, si l’on a tou­jours accoutumé de lui donner quelques friandises lorsqu’elle l’a dit ; et ainsi toutes les choses que l’on fait faire aux chiens, aux chevaux et aux singes, ne sont que des mouvements de leur crainte, de leur espérance, ou de leur joie, en sorte qu’ils les peuvent faire sans aucune pensée. »

La situation est grave ! En tant que spectateur d’une compétition sportive, je vois des corps mais rien ne me permet de dire que derrière ces corps, il y a bien un homme et non pas un automate ou un animal. L’athlète n’est-il pour moi qu’un corps ? Comme la simple observation du corps ne permet pas de comprendre et de sa­voir que l’on est en présence d’un être humain, ne serait-il un homme à nos yeux que lorsqu’il retrouve la parole articulée signifiant sa performance corporelle ? L’exemple de l’athlète Pierre-Ambroise Bosse est particulièrement significatif : il n’a de cesse de parler sur sa course comme s’il voulait signifier aux autres mais aussi à lui-même qu’il n’est pas qu’un corps. C’est ce qui fait écrire à un journaliste : «Depuis une poignée d’années qu’il participe à des compétitions internationales, l’interrogation demeure, plus que jamais : Pierre-Ambroise Bosse ne courrait-il pas, entre autres, pour le simple plaisir de blaguer, de parler et de se raconter aux journalistes, une fois la ligne d’arrivée franchie? Déjà très bavard les soirs de défaites, il est intarissable à l’heure de commenter sa première victoire dans un grand championnat, une médaille d’or qui a débloqué le compteur de la France, quelques minutes avant le bronze obtenu par le perchiste Renaud Lavillenie.» Et, comme s’il avait eu le sentiment de n’être, durant son 800 m, qu’un corps indistinct sans identité humaine propre, il retrouve dans le fait de parler à autrui sur ce qu’il vient de faire, le sens du cogito de Descartes compris par le philosophe Michel Henry, comme un se-sentir-soi-même:  » je m’entends, c’est agréable comme sensation « . Est-ce à dire que les sensations qu’il ressentait dans sa course étaient, certes, bien éprouvées par lui mais sans être les siennes, sans être rapportées à son soi ?

Mais alors, qu’en est-il de l’athlète en lui-même ? N’est-il, dans sa préparation comme dans sa performance, qu’un corps semblable à un automate ?  (la suite est ici)