Premier sujet ; Savons-nous toujours ce que nous désirons ?

L’adverbe de temps « toujours » présuppose que quelquefois nous pourrions savoir ce que nous désirons mais que cette connaissance pourrait ne pas être constante. Il place l’interrogation dans notre temps, dans notre histoire. Mais on pourrait remettre en question ce présupposé en se demandant si ce n’est pas l’essence, la nature même du désir qui fait que nous ne pouvons jamais savoir ce que nous désirons. Il y a donc une tension à instaurer entre ce qui est de l’ordre du temps, de l’histoire et ce qui est de l’ordre de l’essence, des caractéristiques ontologiques du désir : voici une première problématique qui naît de la simple interrogation de l’intitulé. [Remarquons que le même jour, dans la série L, l’intitulé posait directement la question en termes d’ontologie en demandant si « le désir est par nature illimité ». (corrigé ici)

L’expression essentielle dans cet intitulé et qui permet de mettre en place un plan réside dans le « ce que ». Quelle est la nature de ce « ce que » ? Est-un objet bien défini sur lequel porterait mon désir ? Comment serait-il possible que l’objet dont je manque et sur lequel porte mon désir échappe à ma connaissance ? Serais-je victime d’une illusion propre au désir qui ferait que je me trompe quant à l’objet de mon désir ? Cela pourrait faire l’objet d’une première partie dans laquelle on s’étonnerait que l’on puisse poser une telle question !

Ne faudrait-il pas alors penser que ce n’est pas tant l’objet que je désire qui n’est pas toujours connu que la force, la pulsion qui me fait aller vers cet objet ? Certes, je serais bien conscient de faire porter mon désir sur cet objet dont je manque mais je méconnaîtrais les causes et les raisons qui font que je ressens un manque envers lui (bien entendu Freud serait ici convoqué mais si vous l’avez étudié au cours de l’année Spinoza : « Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d’avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leur désir et ignorants des causes qui les déterminent » (Lettre à Schuller de 1675). Et l’on pourrait en profiter pour développer l’idée que, par nature, le désir est de l’ordre de l’imaginaire, du fantasme. Mais alors, il se pourrait que je sache que je désire tel objet, telle personne, mais que je ne sache pas que c’est un autre être que recherche mon désir ! Telle est l’une des leçons de la psychanalyse qui montre au patient le véritable objet de leur désir. Mais alors, le savoir de l’objet du désir met fin à ce même désir ! On pourrait se servir de l’attitude de Swann décrite par Proust dont le désir pour Odette naît en lui d’un fantasme qui associe Odette à un personnage d’un tableau de Botticelli mais lorsque en Swann disparaît peu à peu la charge d’imaginaire et d’ignorance sur l’Odette réelle, tout désir disparaît :  » « Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre ! ». Certes, il savait qu’il désirait Odette mais il ne savait pas ce qu’il désirait en Odette. Nous pourrions en conclure qu‘il n’y a de désir que tant que nous ne savons pas ce que nous désirons? 

Et après avoir confondu le manque du besoin (manque d’un objet) et le manque du désir (manque de on ne sait quoi, manque de …), il ne serait pas difficile de montrer que le « ce que » n’étant pas définissable, objectivable, il n’est pas possible de connaître et l’objet et la source de notre désir. Nous croyons savoir que nous désirons tel objet alors que, par nature, le désir est désir de … rien.

Nous donnons l’analyse de la notion de désir qui montre que nous sommes conscients de désirer mais que, par définition, nous savons que nous désirons tel ou tel objet au sens large mais nous ne savons pas que nous nous leurrons sur nous-même en croyant qu’un objet pourrait combler notre désir.

 Que faut-il pour qu’il y ait désir :

Un manque, un creux par rapport à ce qui est, par rapport à ce qu’on est. Si nous étions satisfaits, comblés, (heureux), nous n’aurions pas de manque donc pas de désir. Comme il ne faut pas définir pour définir, il faut constamment penser, réfléchir en se demandant, si cette première condition de possibilité pourrait se rapporter à notre sujet. Mais l’expression m’appartenir signifie aussi que je suis maître de moi-même ; or le manque n’est-il pas au contraire le signe que « quelque chose » m’échappe, est en dehors de ma prise ? Le manque n’est-il pas signe que je ne m’appartiens pas, de telle sorte que le désir, en tant que manque, serait ce qui me fait échapper à moi-même. Mais le manque constitue-t-il la seule condition de possibilité du désir?
Il suffit alors de de se poser la question suivante : ne peut-il pas exister un sentiment (le désir n’est pas de l’ordre de la raison) de manque, que l’on ne puisse pas qualifier de désir ? C’est le cas du besoin que l’on confond souvent avec le désir ; or, dans un devoir, nous devons toujours prendre les concepts qui figurent dans l’intitulé dans leur sens fort. Si le désir était de l’ordre du besoin nous pourrions toujours savoir ce que nous désirons.

Mais la différence entre besoin et désir, nous permet de mettre en place la deuxième condition de possibilité du désir.

Un manque de … ou un manque de … on ne sait quoi. Le besoin est manque de quelque chose de défini, d’un objet, alors que par définition le désir n’a pas d’objet qui puisse mettre fin au manque éprouvé. Comment cela est-il possible ? Parce que le creux, le manque, qui constitue le désir est produit en nous par la conscience dont la caractéristique est de se séparer de, de s’éloigner de, de néantiser, de creuser toute forme d’être. Aucun objet, aucun être ne pourra donc mettre fin au manque constitutif du désir puisque la conscience viendra, en quelque sorte déplacer, nier, ce qui nous avait comblé, créant ainsi un nouveau manque. Et c’est sur cette caractéristique du désir que le capitalisme montre sa force : puisque aucun objet ne peut mettre fin au désir, n’importe quel objet peut être proposé aux consommateurs en leur faisant croire (la composante de l’imaginaire est essentielle dans le désir) qu’il mettra fin à leur désir (ah ! ce nouveau téléphone portable, et cette tablette etc. …). Mais alors, si on parvient à me faire désirer une suite indéfini d’objets, comment pourrais-je dire que mes désirs m’appartiennent alors qu’ils sont produits par une société qui veut me faire consommer ? Et il y a encore pire, si l’on ose dire quant à notre sujet. Si c’est la conscience qui crée en nous un manque, une insatisfaction permanente, n’est-ce pas parce qu’elle est temps ? Il ne peut y avoir insatisfaction que parce qu’il y a temps ou plus précisément conscience du temps. En effet pour qu’il y ait insatisfaction dans le présent que je vis, il est nécessaire que le présent que je vis ne soit pas plein de lui-même mais qu’il s’ouvre vers autre chose que lui même. Un présent plein de lui-même ne serait pas du présent mais de l’être c’est-à-dire de l’éternité; or l’éternité est ce qui est en dehors du temps. L’insatisfaction, le manque n’est possible que dans la mesure où le présent que nous vivons ne se suffit pas à lui même, nous déçoit et s’ouvre sur une autre dimension du temps qui peut être le passé ou l’avenir. Par conséquent il ne peut y avoir désir que s’il y a conscience du temps. Et n’oublions que le propre de la conscience est de séparer, s’éloigner de ce qui est, ce qui signifie que la conscience n’est autre que le creux, le néant, le non-être qui défait insensiblement l’être du présent: nous ne sommes jamais présent au présent puisque la conscience est ce qui à la fois, nous sépare du présent et en même temps, le constitue comme présent en renvoyant continuellement ce présent au passé.
Bref, pourquoi le désir n’est-il pas un objet que je pourrais connaître ? Car le désir est temps qui, par définition ne peut pas être possédé et connu. Tout désir est temps et le temps est désir.

On voit donc qu’il ne faut pas confondre besoin et désir et quand nous savons ce que nous désirons, c’est que nous ne savons pas ce qu’est réellement le désir.

Sujet 2 : Pourquoi avons-nous intérêt à étudier l’histoire ?

Certes, on pourrait prendre ce sujet comme un clin d’œil adressé à certains élèves en proie de façon récurrente à des questions de nature existentielle quant à la nécessité d’étudier l’histoire mais comme ils se posent la même question pour la quasi-totalité des matières enseignées, on ne trouvera pas d’intérêt philosophique à partir de cette observation.

On  n’oubliera pas de réfléchir sur les différents sens de « pourquoi » qui pourraient permettre de construire des parties différentes : causes, raisons, but. Il ne faudrait pas limiter ce sujet à la seule question de la finalité de cette étude.

Et la réflexion sur le concept d’intérêt ne manquerait pas … d’intérêt. Intérêt, comme le fait remarquer Hegel, c’est étymologiquement « être dedans ». Mais Hegel applique cette notion à l’histoire elle-même, pour montrer que ce sont nos passions (nos intérêts) qui sont le moteur de l’histoire. Dans ce sujet, on nous demande les raisons pour lesquelles on pourrait « être dedans » l’étude de l’histoire. Et nous pouvons déjà trouver un problème qui naît de l’opposition entre ce qui est de l’ordre de la raison (étude) et du désir, de la passion (intérêt). Hegel parvenait à concilier les deux en montrant que, pour le cours de l’histoire elle-même, sous le déploiement des passions des hommes, la raison travaillait et triomphait mais il n’en va pas de même quant aux études de l’histoire. Que l’on songe aux idéologues contemporains qui nous invitent à réétudier l’histoire du régime de Vichy, de la guerre d’Algérie sans parler de Jeanne d’Arc qui n’en peut mais…Ici, pourquoi prend le sens de recherche de causes : quelles sont les causes qui poussent certains à étudier l’histoire ? C’est leur idéologie présente qui les détermine à chercher dans l’étude de l’histoire la justification de leurs thèses. L’histoire et son « étude » n’est qu’un prétexte.

Ceci nous amène à penser que l’étude de l’histoire pourrait nous aider à donner un sens à notre présent et à mieux penser l’avenir mais encore faut-il être capable de ne pas étudier l’histoire à partir des idéologies du présent.

Il est certain que nombre de candidats montreront que l’intérêt d’étudier l’histoire réside dans les leçons que l’on peut en tirer mais cet intérêt est limité par le fait que l’histoire est toujours singulière de telle sorte que, contrairement aux apparences, le passé ne peut en rien nous éclairer sur le présent et l’avenir.

La réponse la plus intéressante pourrait porter non pas sur les buts (pour quoi) de l’étude mais sur les raisons qui lient ontologiquement l’homme et l’histoire. L’histoire n’est pas une entité extérieure à l’essence de l’homme mais un élément constitutif de son être. Étudier l’histoire c’est donc aller vers la connaissance de l’essence de l’homme ou, si l’on veut, vers la connaissance de la genèse de l’humanité qui fait que son essence est toujours en construction et … qu’il n’a pas d’essence.

Sujet 3 :  Expliquez le texte suivant:

« […] Parce que nous savons que l’erreur dépend de notre volonté, et que personne n’a la volonté de se tromper, on s’étonnera peut-être qu’il y ait de l’erreur en nos jugements. Mais il faut remarquer qu’il y a bien de la différence entre vouloir être trompé et vouloir donner son consentement à des opinions qui sont cause que nous nous trompons quelquefois. Car encore qu’il n’y ait personne qui veuille expressément se méprendre, il ne s’en trouve presque pas un qui ne veuille donner son consentement à des choses qu’il ne connaît pas distinctement : et même il arrive souvent que c’est le désir de connaître la vérité qui fait que ceux qui ne savent pas l’ordre qu’il faut tenir pour la rechercher manquent de la trouver et se trompent, à cause qu’il les incite à précipiter leurs jugements, et à prendre des choses pour vraies, desquelles ils n’ont pas assez de connaissance. »

René DESCARTES, Principes de la philosophie (1644).

Ce texte de Descartes ne comportait aucune difficulté si ce n’est celui d’inviter à la paraphrase ! Et quand on sait que nombre de candidats choisissent le texte car « ils auront toujours quelque chose à écrire », on peut penser que les correcteurs ne vont pas s’amuser …

D’où vient l’erreur ? Tel est la question que pose Descartes dans ce texte. Rappelons que Descartes a démontré par la raison l’existence de Dieu. Or comme Dieu est bon, comment peut-il se faire que l’homme se trompe (et fasse le mal, c’est tout comme)? La réponse de Descartes consiste à dire que Dieu a voulu que l’homme soit libre : l’erreur est donc l’effet, non pas de Dieu mais, de la volonté (= liberté pour Descartes) de l’homme. Mais alors surgit un paradoxe : n’est-ce pas l’homme qui, par acte de liberté, de volonté (qui est absolue chez Descartes à l’image de Dieu) choisirait de se tromper ? Répondre positivement serait une absurdité pour un philosophe comme Descartes mais aussi pour la tradition philosophique comme celle de Socrate et de Platon. (Rappelons que pour ces philosophes faire une erreur ou une faute morale revient à commettre une erreur de jugement mais si l’on savait vraiment il ne pourrait ni se tromper ni commettre une faute morale : « nul ne fait le mal volontairement).

C’est donc cet optimisme de la pensée que l’on trouve dans ce texte de Descartes : c’est l’homme qui juge mal quand il se trompe, mais s’il savait vraiment, jamais il ne pourrait affirmer et poser comme vrai ce qu’il sait être faux (et cela s’applique à la morale). Mais alors comment se fait-il que l’homme puisse se tromper ? C’est ici  que l’on voit un trait d’humour du grand comique qu’est Descartes ! Jamais ou presque jamais, écrit-il, il se peut qu’un homme qui n’est pas certain de ce qu’il voit, se mette à poser comme vrai ce qui n’est que probable ou incertain. On se souvient de la grande ironie de la première phrase du Discours de la méthode de Descartes dans laquelle il nous dit que le « bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». Mais si sa phrase était vraie, il devrait arrêter son discours qui a pour but d’apprendre aux hommes la bonne méthode pour bien penser ! Le bon sens est la chose du monde la moins bien partagée et c’est pourquoi le philosophe Descartes va vous dire comment il faut bien penser !

La réponse est simple : il faut trouver dans son esprit des idées claires et distinctes ; celles-ci dans leur évidence signent d’elles-mêmes qu’elles sont vraies. Mais comment les trouver ? Suivez Descartes : il vous donne la méthode pour penser droit et juste.

Rien n’empêche de discuter les thèses cartésiennes, notamment son critère de la vérité qui est l’évidence d’être en présence d’idées claires et distinctes. Et son disciple Leibniz n’a pas manqué de critiquer un tel critère de la vérité en écrivant : « Descartes a logé la vérité à l’hostellerie de l’évidence mais il a oublié de nous en donner l’adresse » ; «J’ai signalé ailleurs la médiocre utilité de cette fameuse règle qu’on lance à tout propos, – de ne donner son assentiment qu’aux idées claires et distinctes – si l’on n’apporte pas de meilleures marques du clair et du distinct que celles données par Descartes. Mieux valent les règles d’Aristote et des Géomètres, comme, par exemple, de ne rien admettre (mis à part les principes, c’est-à-dire les vérités premières ou bien les hypothèses), qui n’ait été prouvé par une démonstration valable, dis-je, à savoir, ne souffrant ni d’un vice de forme ni d’un vice matériel. » (Leibniz)