Choisit-on d’être artiste ? (Bac 2016, série S, Pondichéry).

Nous ne donnons pas à nouveau les conseils pour lire un intitulé et le problématiser. Il suffit de les retrouver sur ce site : voir par exemple ici . Mais, à titre d’entraînement, nous appliquons la méthode de lecture d’un intitulé qui permet facilement de transformer l’intitulé en question et de dégager aisément les problématiques.

Rappelons le conseil fondamental pour toute dissertation philosophique : se rappeler qu’il faut partir du principe que l’on ne sait rien et que, même si l’on a appris parfaitement son cours sur l’art, il faut adopter une lecture naïve qui questionne la totalité de l’énoncé. Nous allons faire cet exercice indispensable qui fera apparaître d’elle-même la problématique.

1° Que faut-il pour qu’il y ait choix ?

Il faut que nous soyons en présence de possibles parmi lesquels nous pourrions en sélectionner un au détriment des autres. Le choix est une des conditions de possibilité de la liberté mais, pour autant, il n’en est pas une condition suffisante (voir ici). En effet, on peut être placé dans une situation telle que ce soit sous la contrainte que nous devrions choisir. Ainsi Rousseau dans le Contrat social examine la thèse de ceux qui serait soumis au choix suivant à la suite d’une défaite : soit mourir soit devenir esclave. Certes, je suis bien présence de deux possibilités donc d’un choix mais la contrainte subie est telle qu’elle exclut la liberté. Il n’en reste pas moins que l’intitulé suppose qu’être artiste pourrait faire l’objet d’un choix donc qu’il y aurait d’autres possibles qui se présenteraient.

Cela obligera à s’interroger dans son devoir sur les conditions de possibilité du choix et plus généralement de la liberté. Quels sont les déterminismes qui pèsent sur chaque sujet dans le choix qu’il fait du métier ou de l’activité qu’il exercera au cours de son existence ? N’existe-t-il pas des déterminismes sociaux (familiaux, culturels etc.), psychologiques (si l’on accepte la notion d’inconscient psychique, se pourrait-il que le choix que j’effectue consciemment soit le produit d’une conscience fausse ?) ou même génétiques (existerait-il des dons qui prédétermineraient des talents ?) qui font que les choix sont conditionnés ou même illusoires ? Celui qui devient artiste ne fait-il que suivre un destin auquel il ne peut échapper ou choisit-il parmi plusieurs chaines possibles de déterminisme ? (La liberté n’est pas absence de déterminismes mais choix parmi des déterminismes). Et s’il y a choix, celui-ci s’effectue-t-il en toute conscience car la deuxième condition de possibilité de la notion de choix, après celle de l’existence de possibles, c’est la con-science qui, par la distance qu’elle met en place, permet de faire apparaitre des possibles (inversement un comportement instinctif s’effectue sans distance, mécaniquement, sans conscience).

La réflexion sur le concept de choix dans le domaine de l’art nous apparaît comme le cas particulier d’une question plus génrale, de nature existentielle, à savoir, choisit-on son existence ? Certes, cette question plus générale n’est pas la question posée mais rien n’interdit dans une partie finale de la dissertation d’ouvrir et de dépasser la simple interrogation sur le choix d’une vie artistique pour aboutir à une réflexion sur le choix de toute vie. Et pour ceux qui se souviennent du mythe d’Er de Platon dans la République (encore ne faut-il pas avoir trop bu de l’eau de l’oubli durant son année scolaire …), rien n’interdirait, bien au contraire, de montrer que celui qui pense qu’il n’a pas choisi sa vie (choix existentiel) l’a en fait choisi avant que son âme prenne corps (choix métaphysique).

2° Qui est « on » ?

Rares sont les élèves qui prennent la peine d’interroger un pronom personnel dans un intitulé. Et pourtant, nous voudrions montrer que le neutre en présence n’est pas si neutre que cela quant à la réflexion. Quel est donc le sujet ou les sujets qui peuvent se dissimuler devant ce neutre ? Pour celui qui ne veut pas interroger l’intitulé, la réponse est évidente : le « on » renvoie à celui qui est devenu artiste par son choix. La question relèverait donc uniquement du sujet concerné par l’art. Mais le « on » peut renvoyer à d’autres sujets que sont les autres artistes, les critiques et historiens d’art, les différentes institutions culturelles (parfois cultuelles), les conservateurs de musée, le public etc. En ce cas, ce ne serait pas uniquement le sujet qui pourrait décider de son statut d’artiste mais cette désignation, ce statut viendrait de l’extérieur du sujet lui-même : l’artiste ne choisirait pas son statut mais serait choisi (ou non choisi) comme artiste. Et nous trouvons un paradoxe qui est au cœur de la problématique qui se découvre d’elle-même : le statut ontologique (« être » artiste) ne provient-il pas de structures extérieures au sujet lui-même, qui sont de nature sociales, culturelles, historiques donc changeantes et contingentes ? Si le statut d’artiste varie selon les cultures et à l’intérieur de chaque culture selon le temps, cela n’interdit-il pas toute possibilité de parler d’une nature, d’une essence de l’artiste et finalement de l’art ?

On voit donc que la réflexion sur le pronom personnel neutre qui était, apparemment, sans intérêt (puisque « tout le monde comprend ce qu’il veut dire »), se révèle essentiel si l’on veut questionner l’intitulé : qui décide quant à la question du statut d’artiste et d’art ? Le sujet (celui qui se dit artiste) est-il maître de son auto-désignation ? Et question qui dérive de celle-ci : peut-on parler d’une essence (statut ontologique) de l’artiste et de l’art ?

(à suivre)