(Ce qui précède est ici)

Au lieu de tenter de donner directement l’essence de la nature, nous essayons d’aller vers elle en nous interrogeant à la fois sur les modalités possibles de notre rencontre avec elle et sur les types de discours susceptibles de l’exprimer ; ce faisant, et sans le vouloir explicitement, notre parcours ne peut pas ne pas faire apparaître une, ou plus rigoureusement, des ontologies de la nature.

Nous sommes partis du bonheur d’être immergés en elle, bonheur redoublé par les dires du poète : le sentir de et dans la nature coïncidait par exemple chez Rimbaud, avec le dire du sentir de cette nature.

soir d'étéz« Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers, »

Ce faisant, par la parole poétique de Francis Ponge, nous avons été amenés à questionner l’usage spontané et irréfléchi de l’article défini concernant la nature. Et l’unité de La nature, la nature comme Un, bref, la conception métaphysique de la nature comme Un, n’apparaissait plus comme allant de soi. S’il est vrai que le poète ne fait pas explicitement profession de philosophie et de métaphysique, ne faut-il pas cependant accorder tout son sens à son désir de renoncer à dire la nature de la nature au profit d’une parole énonçant la variété ou plutôt les variétés des choses et des êtres, s’interdisant par là d’unifier dans l’Etre la singularité des êtres ? N’est-ce pas la voie que suivent Epicure et Lucrèce qui dénoncent dans la tentative de ramener la nature à l’Un une pensée métaphysique imprégnée de théologie ? Dire la nature engage en réalité toute une conception métaphysique de l’existence, des étants, de l’être. De plus, mettre l’accent sur la variété, c’est actualiser une question métaphysique essentielle qui traverse la philosophie depuis son apparition : comment articuler l’Un et le multiple ? Cette question était originairement formulée de la façon suivante : « Comment faire pour que le Tout soit un et que chaque être soit en soi-même ? » Comment penser LA nature si l’on met l’accent sur les multiplicités qui la constituent (la philosophie épicurienne) ? Et comment rendre compte véritablement des multiplicités si l’on met l’accent sur l’unité (la philosophie platonicienne notamment dans le Parménide) ? Nous allons voir avec Lucrèce qui veut nous révéler « les principes des choses où la nature puise les éléments dont elle crée, fait croître et nourrit toutes choses, où elle les ramène de nouveau après la mort et la dissolution … » (I, 55) que son « De natura rerum » est un « De varietate rerum ».

 (à suivre ici)